L'Insoumise du Roi-Soleil
montraient du doigt. La foule gagnait en excitation. Nous fûmes repoussés vers le mur. Ainsi, je pus détailler ces décors qui exaltaient le triomphe du prince. Ailleurs, c’était une cage d’escalier. Ici, il s’agissait d’un fronton, d’une façade couronnée aux dimensions démesurées, qui accueillait des peintures de tapisseries feintes racontant la conquête des Flandres. Le sujet, bien que vaste, alternait avec des décors précieux de portes en bois doré. Je posai la main dessus. Je les caressai. Elles étaient fausses.
— Allons, il faut avancer, répéta le marquis.
Nous reprîmes l’ascension vers les cieux.
À chaque marche, nous découvrions un nouveau trésor. Le mur racontait une sorte d’histoire sur les mérites du roi auquel chaque pèlerin du cortège donnait vie par son propre déplacement. Il y avait des trophées sculptés, des peintures aux armes de France et de Navarre et bien d’autres scènes encore. L’acclamation au Roi-Soleil s’achevait dans les voussures qui couraient au pourtour du plafond. La grandeur du monarque y était sanctifiée. Ses exploits, portés par l’allégresse et le talent du peintre, s’inscrivaient dans l’histoire antique. Dans cette cacophonie où le temps et l’action se mêlaient, il devenait délicat de distinguer le vrai du songe. Mais n’étions-nous pas dans un monde enchanté ?
— Venez donc, Hélène, s’agaça à nouveau le marquis.
Ainsi, nous arrivâmes dans le Salon de Vénus.
Dans cette vaste pièce, des buffets avaient été dressés, et le public s’occupait à se nourrir et à se désaltérer. On trouvait toutes sortes de friandises aux formes et aux couleurs déclinant celles de l’arc-en-ciel. Des fontaines d’abondance débordaient de fruits. Bien que la saison fût avancée, il y avait des pêches charnues. On ne devait en trouver qu’à la cour. Pour en convaincre le gourmand, le sceau de Louis se dessinait dans la peau de chacune. Le marquis en prit une :
— Les jardiniers collent sur ce fruit un morceau de papier fin dans lequel sont découpées les armes du roi. Le fruit mûrit, mais la partie de sa peau ainsi recouverte ne se colore pas sous l’effet de l’astre. Cette illusion montre aussi qui est le Roi-Soleil. Et qui décide où se portent ses rayons.
Il croqua dans la pêche et la jeta. Une bouchée lui avait suffi.
— Cette marque impressionne les visiteurs. Pour eux, c’est un peu de la magie. Mais tout ici n’est-il pas illusion ?
Il leva alors les yeux vers le plafond.
— Pour comprendre jusqu’où porte le rêve, il faut commencer par observer le détail des voussures. Regardez ces amours. Ils servent de témoin à Vénus.
À chaque angle du salon, des chérubins couverts d’or fin tenaient en main des guirlandes de fleurs et de feuillages dorés.
— La fleur unit les amants et les amours les encadrent. Ils sont les gardiens des amants, mais en même temps ils les emprisonnent. Vénus est à l’ouvrage, murmura le marquis, et peut-on lui échapper une fois qu’elle vous a accueilli ?
Il posa la main sur mon bras :
— Ce salon est comme l’amour. Dangereux et trompeur. Observez-le encore.
Sans bouger je fis le tour de la pièce. Mon regard se brouilla. Le trompe-l’œil régnait en maître. Je ne parvenais pas à savoir si les marbres, les colonnes ioniques, les portes elles-mêmes étaient véritables. Les angles, les perspectives fuyaient vers l’infini, et la lumière adoucie des lustres ajoutait à l’impression d’un monde irréel.
— Comme vous, ce salon est une splendeur. Je vous l’ai dit. Mais l’amour n’est-il pas menteur ? me glissa à l’oreille Penhoët.
Malgré moi, sa voix me troubla.
— Ne vous méprenez pas, reprit-il après s’être écarté. Je n’ai agi que pour vous faire comprendre les dangers qui vous entourent. Vous entrez chez le roi. Et ce salon n’est fait que pour que l’on aime cet homme.
Il montrait les tableaux peints au plafond qui semblaient voler dans l’air et décrivaient des scènes antiques. Je voyais Alexandre épouser Roxane, Cyrus et ses troupes, Auguste présider les jeux du cirque, Sémiramis et Nabuchodonosor faisant élever les jardins de Babylone et, au centre de tout, Vénus assujettir à son empire les divinités et les puissances.
— Ne vous trompez pas, répéta-t-il. Ces tableaux racontent la gloire et le succès de Louis XIV. C’est lui que l’on flatte et que l’on met en scène. Et là, que
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