L'Insoumise du Roi-Soleil
faut-il perdre peu ou risquer pour gagner plus ? De sorte que je ne m’y suis jamais ruiné.
— Vos victimes devraient écouter cette leçon, car on eut pour nouvelle positive que vous gagnâtes aussi, cette nuit.
— Moins qu’on le dit et plus qu’on le pense, sire.
— Cette discrétion vous honore, monsieur.
Le roi sembla partir, mais revint et s’approcha à nouveau :
— M’apprendrez-vous un ou deux de vos tours ?
— J’en serai honoré, sire.
Le roi jeta-t-il un regard par-dessus l’épaule du marquis ? Je n’en sus rien. J’étais cachée et lui, déjà parti. Penhoët pencha la tête vers moi.
— Redressez-vous, je vous en prie, me glissa-t-il à l’oreille.
Le roi nous montrait son dos. Sa suite en faisait autant, à l’exception de madame de Maintenon. De profil, elle regardait le marquis.
Et moi, puisqu’il me parlait.
Puis, le roi sortit du Salon d’Apollon.
Son apparition scinda la soirée entre un avant et un après. Désormais, on se sentait plus libre de s’exprimer. Selon les rites de la cour, il ne reviendrait que pour le bal, à minuit. Avant, il vaquerait ainsi, de salon en salon, puis se retirerait avec ses intimes. Chez qui irait-il ? Le nom de Maintenon circulait. Il pourrait se rendre chez elle avant le Grand Couvert qui se tiendrait à vingt-deux heures. Choisirait-il pour finir de rejoindre madame de Montespan qui demeurait à cet étage ? L’humeur de Louis semblait bonne. Les commentaires circulaient. On trouvait Montespan fatiguée, Maintenon pâle. Le cas de la Reine fut évoqué, l’hypothèse aussitôt écartée. N’avait-elle pas encore grossi ? Les mots, les phrases assénés à haute voix fusaient sans prudence, sans méfiance pour les gardes, les espions qui devaient rôder. La musique, le vin, la danse, et le passage du roi emportaient les appréhensions.
L’excitation venait aussi de l’intérêt particulier du souverain pour quelques présents. On dissertait sur l’insigne distinction dont profiterait celui ou celle à qui Il avait prêté attention. Un regard était un présage. Un mot constituait un honneur... Mais une phrase ?
— Ce soir, le roi vous a comme adoubé une seconde fois, affirma un courtisan qui ne décollait plus le marquis de Penhoët.
Ce dernier remercia le flagorneur mais, sur le fond, ne commenta rien. Par le même effet de sa soudaine importance, on virevolta autour de moi. On voulut faire connaissance. Mon nom agit d’étrange façon. Il y eut bien un avant et un après.
— Hélène de Montbellay !
On souriait par habitude. Puis on réalisait. Alors, les épaules pirouettaient.
Pour échapper à la cour des curieux qui se réunissait autour de lui, le marquis de Penhoët me proposa de rejoindre le Salon de Vénus où d’autres buffets avaient été dressés, en attendant l’heure du bal qui suivait le Grand Couvert.
Mon cœur battit plus vite :
— Si j’en crois l’étiquette, ce repas est pris en public. On peut voir le roi.
— Vous connaissez votre leçon, s’amusa-t-il.
— Et vous, marquis, êtes-vous autorisé à approcher de sa table ?
Il hocha la tête :
— Le roi m’ayant parlé ce soir, je pourrais obtenir cette faveur. Mais, fit-il en sondant mon regard, auriez-vous conçu l’idée de profiter de ce moment pour lui parler ?
— Je vous la soumets puisque j’ai promis de ne rien tenter sans votre accord.
— Eh bien ! sourit-il, étudions l’hypothèse. À dix heures, le roi s’installe pour prendre son repas. Il y conviera la reine et quelques convives qui seront priés de ne rien rater. S’y joindront les duchesses, les princes de sang, les officiers de la cour. Ces dames auront l’honneur de s’asseoir sur de modestes tabourets, les autres seront debout, faisant barrage aux courtisans avides de sensation – ou simplement cupides. Tout ce monde sautera sur place en attendant que s’achève l’interminable agape royale, car le lion est affamé. Vous aurez droit de humer les potages, de déglutir au passage des entrées, des rôtis et des salades – les services des officiers de Bouche n’en finissent pas. À ce rythme lent, ajoutez les moments où Sa Majesté désire boire. Alors, on lui tend un verre à moitié plein qu’il goûte pour s’assurer que le mélange d’eau et de vin est respecté. Croyez-vous à la fin ? Il reste les entremets et les fruits. Pendant ce temps, qu’a dit le roi ? Rien ou si peu d’autant qu’il... règne une sorte de brouhaha, entretenu
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