L'Insoumise du Roi-Soleil
et bombait le torse. Sûr de sa force et de sa supériorité, il faisait face à un homme de petite taille qui ne portait pas d’épée. Le chevalier provoquait, narguait, insultait du regard ce dernier. François n’avait pas menti. Saint Val était violent.
— Je suis contre ces extrêmes, maintint avec courage le petit homme. Je crois aux bienfaits de la paix.
— C’est ainsi que nous perdrons tout, rugit Saint Val.
— Qu’auriez-vous fait à la place du marquis de Preuilly ? demanda le flatteur.
Le chevalier prit un temps avant de répondre. Il détailla le groupe qui s’était formé autour de lui. Il avait son auditoire. Il pouvait parler.
— Voyons les faits. Les navires du marquis de Preuilly mouillaient à Cadix au sud de l’Espagne et s’annonçaient en infériorité numérique quand la flotte espagnole vint à sa rencontre.
— Dix-huit navires contre quatre. Ce n’est pas rien, fit tout de même le flatteur. Le marquis de Preuilly fut fort courageux de ne pas fuir.
Saint Val balaya ce compliment qui ne lui était pas adressé :
— Pour savoir si l’on a du courage, il faut un adversaire. Or les Espagnols n’ont pas engagé le feu alors que Preuilly refusait de saluer leur amiral, rugit Saint Val. Ils disposaient d’un beau prétexte pour envoyer par le fond quatre de nos navires. Et ils ne l’ont pas fait. Ce qu’il faut expliquer, ce n’est pas le petit exploit de Preuilly, mais la faiblesse des Espagnols !
— Leur flotte accueillait un amiral anglais, répliqua le contradicteur. Il semblait impossible d’aller au combat en y associant un Anglais. Ils ne pouvaient faire payer sa bravade au marquis de Preuilly. En d’autres circonstances, les Espagnols auraient fait preuve de moins de magnanimité.
Le chevalier de Saint Val ne voulut rien entendre :
— Les Espagnols ont montré leur lâcheté. Ils firent retraite et allèrent mouiller plus loin. N’est-ce pas la preuve qu’ils se sentaient inférieurs à nous en courage et en force ?
Personne ne répondit à ce guerrier obstiné. Croyant à sa victoire, il lança sa conclusion :
— Cette couardise illustre l’état d’esprit des armées de Charles II. Elles n’ont plus envie. Elles ont peur de voir couler leur sang. Sommes-nous à l’abri d’une telle faiblesse ? Je serais moins bienveillant que vous. Je sais qu’un soldat a besoin de la guerre. Les nôtres paressent dans leurs quartiers d’hiver. Regardez-les ! Ils dansent à la cour ! Croyez-vous qu’ils puissent se battre ? Ils sont devenus faibles. Ils paradent place d’Armes et cela leur suffit. Mais la victoire n’autorise aucune indulgence. La guerre s’entend comme un état d’esprit permanent. Le soldat vit et meurt avec. Et cela fait trop longtemps qu’il se plaît dans les délices. Il lui faut la dureté, l’effort, le goût du sang. Il faut la guerre, pour l’aimer et ne plus vouloir s’en passer.
Il se tut, exalté.
— Parlez-vous aussi pour vous ? murmura le petit homme.
— Je me cite en premier. La guerre est un métier. Pour celui qui l’a choisi, il ne peut y en avoir d’autre.
Un instant son regard s’échappa. À quoi pensait-il ? Au canon, à la mort, à ses propres fantômes ? L’absence prit fin. Il se ressaisit aussitôt :
— Dans l’affaire du marquis de Preuilly, je conclus qu’il fallait profiter de cette belle occasion pour se présenter en héros. Dieu ! que je regrette de ne pas avoir été là. Sa bravade, puisqu’on en parle ainsi, a eu pour résultat de le flatter et de nous laisser enivrer par la paix armée. Mais elle ne durera pas. L’homme ne peut vivre sans la guerre. Ce vice et cette vertu lui sont attachés. Voulez-vous que nous perdions la prochaine au prétexte que nos soldats n’aiment plus ses plaisirs ? Non ! Rien ne me fera changer d’avis. Le marquis de Preuilly devait donner l’assaut et offrir cette gloire au roi. Il fallait que son sang coule !
— Alors, osa le détracteur, nous aurions perdu un grand soldat qui nous servira quand il sera temps de reprendre cette guerre que vous appelez tant de vos vœux.
Saint Val allait répondre. Mais une voix lui coupa son élan :
— Il existe peut-être une autre théorie.
Saint Val et tous les autres s’intéressèrent à cette voix.
— Le chevalier voudrait-il voir mourir le marquis de Preuilly par crainte que ce sage soldat lui fasse de l’ombre quand viendra l’heure de faire la guerre ?
— Vous vous moquez de mon courage. Je ne
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