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L'Insoumise du Roi-Soleil

L'Insoumise du Roi-Soleil

Titel: L'Insoumise du Roi-Soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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fallait être attentive aux réactions du roi. Était-il agacé, fatigué par ce gentilhomme qui lui parlait de la chasse ? Montespan n’en savait rien. À l’inverse, Maintenon saisissait la moindre variation dans l’auguste visage de marbre, avare d’expression. Et le combat entre les deux femmes dont m’avait parlé la marquise de Sévigné se jouait peut-être ainsi.
    Mais le roi, celui qui attirait et retenait tout, qu’en était-il ?
    Il avançait calmement, fixant – toisant serait plus juste – chaque membre de sa cour. L’examen était souvent silencieux. S’il sourit, cela m’échappa. Il progressait en calculant son pas, de sorte qu’un des pieds se présentât toujours vers l’extérieur et jamais parallèlement à l’autre. Il ne marchait pas tel que l’ont appris les hommes. Il représentait le monarque dans la force de l’âge, certain de lui et de ses gestes, défiant la quarantaine et faisant pour cela admirer sa beauté et sa souplesse. Il défilait. Non pas de manière martiale. Son corps s’efforçait d’échapper à l’ennuyeuse ligne droite. Ses épaules se tournaient vers le côté où son regard allait. Alors, ses yeux pointaient une ligne supérieure qui pénétrait celui qui tombait dedans. Et le défilé se transformait en revue. Il était le maître d’une cérémonie dans laquelle il assurait tour à tour le rôle de l’auteur, de l’acteur et du spectateur.
    Sa perruque très noire et très longue retombait sur ses épaules et recouvrait le col d’une veste sombre. L’étoffe était bleu nuit et rehaussée de fils d’or. Ce métal précieux et ductile, qui dominait le décor des salons, se retrouvait dans les boucles de ses chaussures, dans la broderie fine de sa cravate en soie et dans les boutons qui ornaient cet habit long descendant jusqu’à mi-genoux. Il arborait une écharpe aux mêmes teintes et une large ceinture de soie rouge et or. Sa canne et son chapeau achevaient l’impression seigneuriale. Il allait, au-dessus, porté par sa condition qui, selon moi, expliquait qu’il parût plus grand qu’il ne l’était. J’y ajoutai aussi l’effet d’une grâce naturelle, d’une aisance absolue – ce don inné que possédait ce prince du menuet. Et si j’y pense encore, il ne marchait pas. Il dansait au pas.
    Alors qu’il se trouvait à mi-parcours du salon d’Apollon, le roi se tourna vers son Gentilhomme de la Chambre. Il lui glissa un mot et pas deux. Muni de ce haut privilège, cet officiant fit un signe à l’orchestre. Aux premières notes, les courtisans se relâchèrent sans quitter des pupilles leur souverain et sa suite. Ils reprirent timidement leurs activités, dansant, jouant ou picorant. La domestication fonctionnait. Quelques-uns, cependant, restèrent sur le chemin du monarque, s’effaçant au dernier moment, espérant jusqu’au bout du possible ce regard qu’ils craignaient. Le roi voyait, verrait. Il n’en faisait qu’à son gré. La scène me suffit pour comprendre ce que l’on n’avait cessé de me répéter depuis mon départ. Le projet de me jeter au-devant du Soleil pour le supplier de pardonner mon père constituait une folie. Lui, sa suite, ce qu’ils représentaient, formaient une garde intouchable, un rempart infranchissable.
    — Qui est cette petite femme épaisse qui marche aux côtés du roi ? murmurai-je au marquis. Elle semble si lasse, si absente.
    — Marie-Thérèse d’Espagne.
    — La reine ? balbutiai-je un peu plus fort que je ne l’avais prévu.
    Ces mots suffirent pour que trois têtes se décrochent et virent dans ma direction. Le roi choisit ce moment pour diriger la sienne vers ce qui troublait son ordonnancement. Et son talon suivit. En un éclair, le marquis de Penhoët se glissa devant moi, me cachant à sa vue. Il affronta seul l’événement. Le roi venait lui parler.
    La nouvelle trajectoire s’organisa. On fit un mouvement en arrière pour créer un vide entre l’élu et le monde ordinaire. Et le roi s’adressa à lui :
    — On m’assure que vous avez joué gros hier, monsieur le marquis.
    — Mais avec prudence, sire, car la témérité oblige parfois à battre retraite.
    — Cette manœuvre peut-elle être valeureuse ?
    — Au jeu, le vainqueur n’est pas toujours celui qui l’emporte, sire.
    — Expliquez-vous, monsieur le marquis.
    — Triompher de soi est parfois la plus belle des victoires.
    — Continuez.
    — À une table de jeu, je ne cesse de me poser cette question :

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