L'Insoumise du Roi-Soleil
pourquoi, pourtant, je vais vous répondre. Il a trop bien tenu son rôle. Un comédien ? Pas si sûr. Un comédien salue. Lui file. Et cet air malheureux ! Je partage l’avis de monsieur Turlupin. Qui est-il ? D’où vient-il ? Pour s’assurer qu’il n’est pas envoyé de l’au-delà, il aurait fallu plonger son corps dans l’eau.
Jean-Baptiste parvint à obtenir ce qu’il voulait : je sortis de ma langueur.
— Dans l’eau ! Quelle est cette invention ?
— Oh ! Ce n’est pas de moi, mais des tribunaux de Sa Majesté. Pour savoir si le diable s’est emparé d’un être, il faut attacher son corps et le jeter nu dans l’eau. S’il flotte, un démon l’habite, car tout corps sain plongé dans l’eau coule et se noie par la pénétration de l’eau dans le corps à travers ces petits trous que l’on nomme des pores. La méthode relève du scientifique.
— Je la trouve surtout effrayante puisque l’accusé meurt, ou noyé ou brûlé.
— Elle est moins horrible que de subir la Question. Mon idée n’est pas de broyer les os de ce fantôme, qui, peut-être, n’en a pas. De l’eau. Il coule ? On le sort. Je ne lui veux aucun mal. Je cherche à savoir, c’est tout. Et il eût mieux valu que nous le sachions, si j’en crois ce que mon petit doigt m’a dit pendant que François de Saint Val vous contait fleurette.
— Qu’as-tu appris ? demandai-je malgré moi.
— J’ai laissé faire madame de Sévigné, qui parle quand elle n’écrit pas. Ainsi m’a-t-elle raconté ce qu’il en est de demain. Non ! non ! Je ne me tairai pas. Nous sommes seuls, le cocher ne nous entend point et l’hôtel Carnavalet est loin. Aussi, laissez-moi vous dire que je ne m’accorde pas à ce projet qui consiste à duper le roi et les courtisans en faisant croire au retour de La Salle.
— Trop de bavardages, m’irritai-je. Trop de témoins... À qui donc s’est-elle encore confiée ?
— En voudriez-vous à un ami de ne pas savoir quelle folie vous menace ?
— Il n’y a aucun risque, mentis-je. Sauf à trop jacasser.
— Vous pensez donc qu’il est sain de demander au fantôme de La Salle d’intercéder en votre faveur pour rencontrer le roi ?
— Mais il n’est pas mort !
— Qu’en savez-vous ? Non, non et non ! C’est trop. Un spectre à Versailles ne vous suffit point. Vous ajoutez le revenant de Louisiane. Le sort, mademoiselle Hélène, vous lui tordez le cou et vous risquez qu’il vous étouffe à son tour. Un fantôme précède toujours la mort. Il ne vient que pour punir. Le seul moyen de se sauver est de se voiler la face. Aussi, écoutez ce conseil : ne vous montrez pas au roi.
— Jean-Baptiste, comment peux-tu croire à ces histoires ? m’emportai-je.
— Vous dites cela en pensant au valet stupide et superstitieux, se vexa-t-il. Mais saviez-vous qu’un chevalier en armure hante le château de Chantilly, là où loge le Grand Condé ? On dit qu’il se montrera à lui pour lui annoncer sa mort. Et que penser du fantôme de Madame, première femme de Monsieur, le frère du roi ? Oui, je vous parle d’Henriette d’Angleterre. Madame se meurt ! Madame est morte... Mais elle erre toujours et on l’a vue revenir dans sa chambre.
— De qui tiens-tu ces sornettes ?
— Ah ! bien sûr, il ne s’agit que d’un valet, comme moi, mais il le sait d’un autre qui lui-même a vu le spectre de Madame avant qu’elle ne soit morte. Et ce garçon pourrait en raconter encore qui vous éclaireraient sur l’Affaire des Poisons. Les fantômes clabaudent plus que vous ne pouvez l’imaginer.
— Que crois-tu à propos du fantôme de Versailles ?
— Qu’il soit fait d’os et de chair, ou transparent comme un filet d’air glacial, il est venu pour annoncer la mort, et elle frappera, j’en suis certain, parce qu’il existe toujours une part de vrai dans les affaires de spectre. Je vais plus loin. Versailles est la maison du roi. Donc, c’est lui que l’on vise. Je ne sais où et comment, mais on s’en prendra à lui... Un revenant n’annonce que le malheur. C’est pourquoi je vous mets en garde : ne jouez pas avec lui. Ce soir, il a dit qu’il était mort pour renaître. Mais ce à quoi il donnera vie sera peut-être pire encore...
Les paroles de Jean-Baptiste m’impressionnèrent plus qu’il ne le crut. Ma nuit fut agitée et je dormis peu, submergée par les émotions bonnes ou mauvaises qui incendiaient mon esprit. L’absence de François me pesait. Et j’espérais
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