L'Insoumise du Roi-Soleil
belles chansons de geste !
Il finit par me regarder :
— Avant de la lui faire parvenir, j’y ajouterai un mot pour dire combien vous êtes entêtée.
— Garde-la pour le moment, Jean-Baptiste. Ce n’est qu’au cas où...
— Holà ! Ce « au cas où » veut dire quoi ?
— Je ne sais. C’est peut-être idiot de penser ainsi.
— Oui, c’est idiot ! Mais moins que de perdre votre temps. Allez ! Et soyez à l’heure.
— Jean-Baptiste...
— Je sais ce que vous allez dire. Vous me trouvez admirable, gentil et dévoué. J’ajouterai grognon, mais moins courageux que vous. Tenez, j’écrirai moi-même cela à votre père. Je lui dirai aussi combien sa fille mérite son admiration.
Ses yeux se troublèrent. Il se détourna :
— Ah ! voilà que je prends froid. Les yeux me piquent. Voulez-vous, s’il vous plaît, nous quitter avant que nous attrapions la mort !
Il se signa aussitôt. Le cocher lança son cri. Le carrosse s’ébranla. Mon destin était en marche, hoquetant au rythme des roues, sur le pavé, cahin-caha.
Le marquis de Penhoët faisait les cent pas dans le vestibule de l’Escalier des Ambassadeurs. Sa mine était grise, ses traits tirés. Les nouvelles ne semblaient pas bonnes.
— Éloignons-nous, fit-il sans attendre en m’attirant dehors, jetant ici et là des regards en coin.
Ma première surprise venait de l’agitation qui régnait. Je m’étais préparée à l’idée d’un château déserté, or un ballet de conseillers se croisait et se saluait, et les courtisans cheminaient çà et là, chacun semblant affairé comme à l’habitude. De même, les jardins étaient peuplés de promeneurs qui flânaient autour du grand parterre d’eau malgré le froid et un vent vif qui ne décolérait pas. L’inquiétude me saisit. Le leurre à propos de La Salle avait-il fonctionné ?
— L’affaire du fantôme se complique, murmura le marquis de Penhoët. Et, vrai ou faux, ce spectre nous fait déjà du mal.
La façon dont il s’exprimait était étonnante. « Vrai ou faux. » Pouvait-on se poser cette question ? Il força la cadence, quêtant un coin isolé. Il finit par prendre sur la droite et dépassa le bassin de la Sirène, longeant le flanc nord du château.
— Aurait-il fait reparler de lui ? finis-je par demander, affolée par son silence dans lequel s’engouffrait mon imagination. Trahison ? Fuite ? Dénonciation ? Quelle catastrophe s’annonçait-elle ?
Il ne répondit pas.
Nous aboutîmes devant la grotte de Thétis, défendue par trois grilles de fer et de laiton où irradiait un immense soleil. Le marquis força sans effort cette barrière et nous entrâmes dans la grotte. C’est alors qu’il parla :
— Il reste peu de temps pour nous décider.
Sa voix était portée par l’écho. Nous étions heureusement seuls.
— Pourriez-vous m’expliquer cette agitation et ces méthodes d’espion ? criai-je malgré moi.
— Il y a eu un crime. Cette nuit. À Versailles.
C’était court. Brutal. Le marquis avait peine à en dire davantage.
Il déglutit et reprit plus calmement :
— Armand de Villorgieux. Petite noblesse de robe. On l’a trouvé mort, ce matin. Ce n’est pas tout. Le... Ah ! Comment dire ? Le fantôme, puisqu’il faut bien nommer le criminel, s’est accusé lui-même.
Les murs de la grotte étaient décorés de coquillages et de pierres colorées qui ajoutaient à l’envoûtement des statues dont les formes sensuelles se reflétaient dans l’eau cristalline et dormante, capturée dans de grands bassins taillés en forme de conques. Le spectacle était féerique, mais je dus m’en arracher :
— J’ai peur de ne pas comprendre. Le fantôme se serait-il montré une seconde fois ?
Ma vue s’habituait à la lumière particulière créée par l’eau et la roche. Trois merveilleux marbres représentant Apollon et ses nymphes apparurent dans le fond de la grotte. Je ne pus retenir un frisson.
— C’est pire, souffla le marquis. Il a signé son œuvre. Un mot écrit, disons, de... sa main. Où il est question de la terre de Louisiane et où il réclame à nouveau ce qui lui est dû. J’ajoute que le mort a été étranglé avec des chaînes dont on se sert pour attacher les galériens et les esclaves.
Le récit s’accordait au spectacle de la grotte. Ma vue s’étant habituée à la pénombre, je voyais à présent sur les murs des masques dont les formes jouaient avec les reflets de l’eau, et partout les chiffres du roi,
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