L'Insoumise du Roi-Soleil
qu’il en était de même pour lui. Mon esprit rêvait et mon corps se souvenait de chacun de nos instants. Imprégnée de souvenirs, je l’appelais. Combien il semblait facile de bondir et de le retrouver. Pourquoi s’aventurer auprès d’un roi et d’une cour que je n’appréciais pas alors qu’il serait si bon de me pelotonner auprès de ceux que j’aimais. Il suffisait de m’accrocher aux superstitions de Bonnefoix pour lâcher prise. Et c’est peut-être pour cela que j’y pensais tant.
Ce fantôme augurait-il du malheur ? S’agissait-il d’une farce ou, comme l’avaient imaginé certains spectateurs, d’un complot dirigé contre, ou par, les proches du roi ? Je battais toutes les hypothèses, ne retenant évidemment pas un instant celle du revenant.
La troupe avait choisi pour cette pièce le titre Mourir pour renaître et Jean-Baptiste y voyait une sorte de prédiction : pire encore que le fantôme, le malheur lui tenait compagnie plus sûrement que ces chaînes que tout véritable spectre traînait inéluctablement. Annonçait-il une vengeance ? Peut-être, mais cette affaire ne me concernait pas. J’en ignorais l’origine et la cause, je n’y jouais aucun rôle. Je n’avais donc rien à redouter. La mienne me tenait assez éveillée.
Je devais me reposer. Sinon, comment affronter l’épreuve des heures à venir ? La tête calée dans l’oreiller, les mains posées à plat, bridant peu à peu mon souffle heurté, le sommeil vint enfin, auréolé d’une question. Le comédien qui jouait le fantôme avait conclu en reprenant cette phrase : Mourir pour renaître ... Et il avait ajouté que la mort lui donnait le droit de faire souffrir à son tour, jusqu’à obtenir vengeance pour les maux qu’il avait supportés, et obtenir un morceau de Louisiane. Ces mots lui avaient-ils été soufflés par Turlupin ou était-ce, comme pour les autres, une improvisation de son choix ? La réponse était importante. Il fallait soit féliciter l’auteur de la réplique, soit le génie de cet improvisateur anonyme. Et, dans ce dernier cas, il semblait juste de se demander, comme Bonnefoix, s’il s’agissait d’un hasard ou d’une prédiction. D’un jeu ou d’une menace.
ELLE TROMPE CEPENDANT ELLE PLAÎT
1 - Thésée, venu en Crète pour affronter le Minotaure, fut aidé par le fameux fil d’Ariane qui lui permit de sortir du labyrinthe.
2 - Demoiselle en provençal.
XII. Qui peut séduire le roi ?
— Eh bien ! Vous voilà fin prête. Non, il n’y a rien à redire. Votre robe est parfaite.
La marquise de Sévigné était descendue dans la cour pour me voir partir. Les phrases se faisaient courtes, les gorges se nouaient. Jean-Baptiste nous suivait de près. Le cou rentré dans la chemise, il tapait la semelle et ses mains ne quittaient plus les poches de sa veste. Le froid venait et ce temps de novembre s’accordait à son humeur. Son dos rond en témoignait : Bonnefoix n’était plus en accord avec moi. Pourtant, ce jeudi 5 novembre, à six heures, alors que l’aube peinait à déchirer la nuit, j’ai franchi le porche de l’hôtel Carnavalet avec hargne et audace. Sans doute pour mieux lutter contre la peur.
Le carrosse du marquis de Penhoët m’attendait. Le cocher a jailli de son siège pour m’aider à monter. Les chevaux ont henni. Leurs naseaux fumaient. Ils aimaient ce vent sec qui promettait une course légère et soulagerait leur peine. Ils le firent comprendre en tirant sur le mors et en roulant des yeux. Aussitôt, le cocher les rappela à l’ordre en jurant dans la langue du charretier. Les alezans dressèrent les oreilles et leurs bouches cessèrent de mordre le cuir.
La marquise vint jusqu’au carrosse et me lança un joli sourire plein de vie. Jean-Baptiste suivait en traînant la jambe.
— Monsieur Bonnefoix !
Il leva un regard morne vers la voiture et parut me découvrir.
— On me parle ?
— Accepteras-tu de t’occuper de cette lettre ?
Haussant les épaules sans ôter les mains de ses poches, il grommela, la voix blanche :
— Je n’ai rien d’autre à faire que de me tordre le ventre en attendant de vos nouvelles.
Il tendit alors mollement un bras :
— Convient-il que je coure dans Paris par ce froid glacial jusqu’à la rue Mouffetard ?
— Cette lettre est pour mon père. Je lui raconte tout depuis le début.
— Parlez-vous de moi ? demanda-t-il distraitement.
— J’ai détaillé tous tes exploits. Crois-moi, cela vaut les plus
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