L'Insoumise du Roi-Soleil
?
— Cela donnerait lieu à une jolie scène, murmura Arlequin qui y pensait déjà.
— Je m’avance vers lui, dit Matamore, et je lui jette un seau d’eau en hurlant de peur. Alors, on voit que ce blanc est peint en noir.
Et ils inventaient les répliques, les scènes, les effets d’une nouvelle bouffonnerie.
— De grâce, messieurs ! brailla Pantalon. Vous oubliez le plus important.
— Qu’est-ce ? s’inquiéta Bonnefoix.
— Il faudra retailler le costume de Pierrot !
Et nous aurions pu nous amuser ainsi toute la nuit.
Je finis par oublier ce fantôme mystérieux qui, vrai ou faux, multipliait les apparitions et les disparitions. Le temps s’échappait et se comptait au nombre des bougies mortes qu’un de nous remplaçait chaque fois par une flamme neuve. Mais je mis fin à la tentation de me laisser surprendre par l’aube, épuisée et heureuse. Mon rendez-vous avec le roi me forçait à rentrer chez la marquise de Sévigné et les coups d’œil impatients de Jean-Baptiste se multipliaient. Il fronçait les yeux. Il soufflait pour montrer combien il était chagriné. Alors, je brisai le charme de ces heures délicieuses en saluant tristement la troupe.
Dans la rue Mouffetard, au prétexte de courir chercher un carrosse, Jean-Baptiste nous laissa seuls, François et moi. Nos corps ne se lassaient pas l’un de l’autre. Si l’un s’éloignait, l’autre le reprenait. Nous nous embrassâmes. Dehors, le silence était revenu. Les rares attardés marchaient vite, le nez plongé sur la chaussée, épiant les bosses et les trous. Parfois, la porte d’un cabaret s’ouvrait. Un homme éméché sortait en braillant un au revoir. Il secouait les épaules, piétinait un instant pour trouver l’équilibre, partait, hésitant, le corps en arrière, affronter la descente de la rue mal pavée. Une pluie fine refroidissait nos visages.
— Quelques heures, encore, murmurai-je à François. Donne-moi ce que mon honneur me réclame.
— Veux-tu que je vienne à Versailles ? J’attendrai dans l’auberge où nous avons mangé.
Une sourde inquiétude serra soudain ma gorge. Si tout se passait mal, si je ne ressortais pas du château, si le roi... Qu’adviendrait-il de moi, de nous ? Car alors François se présenterait, demanderait à me voir, provoquerait un désordre qui se retournerait contre lui. En ajoutant la malchance, il tomberait à coup certain sur son père.
— À mon retour, je viendrai te chercher ici, et nous nous enfermerons un siècle chez toi !
Nos lèvres se trouvèrent, François caressa mon corps et reprit le chemin qui me conduisait au désir. La tentation de rester jusqu’à l’aube revint. Mais Bonnefoix veillait. Il toussa dans mon dos.
— Le carrosse est derrière cette maison. Il n’attendra pas, et je crains qu’il n’y en ait plus d’autre.
Nous fîmes les derniers pas ensemble. Un ultime baiser, mais un autre aussitôt, pour que ce ne soit jamais le dernier.
— Mademoiselle Hélène ! répéta, agacé et plaintif, Jean-Baptiste.
Le cocher s’impatientait. Nous montâmes. Le fouet claqua. Alors que je me penchais à la fenêtre, la rue prit une courbe et François disparut.
Mon cœur souffrait, mon corps se plaignait. Le lit serait froid, je serais seule. Des larmes coulèrent subrepticement sur mes joues. Une sourde douleur revint me hanter. Une angoisse aussi : le destin me punirait-il de vouloir le braver alors qu’il m’ouvrait les bras du bonheur ?
— Tenez, glissa Jean-Baptiste d’une voix attendrie.
C’était un mouchoir.
Le destin se vengerait-il pour ne pas me suffire de ce qui m’entourait et de ceux qui me chérissaient ?
— Ah ! Quel bon moment et tant d’autres encore, fit ce compagnon délicieux, mais je frissonne en pensant à ce fantôme. Voyez-vous, ajouta cet ami qui bavardait pour m’ôter ma tristesse, j’ai réfléchi à cette proposition... Parbleu ! M’écoutez-vous ?
— De quoi parles-tu, Jean-Baptiste ? finis-je par répondre.
— Du rôle du fantôme. Oui, je l’avoue. C’était une sorte d’envie, comme un rêve... Mais je sens qu’il s’agit d’un péché et qu’il faut m’en écarter. Je suis doué pour la comédie, je vous l’accorde, et j’imagine le bonheur d’être applaudi tel un seigneur, mais je ne jouerais pas le rôle d’un fantôme. Celui que j’ai vu ne m’inspire pas confiance.
Il marqua un temps. Voyant que je ne réagissais pas, il souffla et reprit :
— Vous ne me demandez pas
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