L'Insoumise du Roi-Soleil
n’y a pas que la cour pour se sentir attirée par l’au-delà... Parmi les spectateurs, il en existait pour y croire. Quand d’autres, heureusement, imaginaient une farce, et quelques-uns un coup cruel. Alors que choisir ?
— Une farce ? Comme vous y allez ! C’est une entreprise criminelle...
— Allons, marquis ! Ce peut être à la fois une farce et un crime.
Les décors mystérieux de la grotte de Thétis m’avaient-ils soufflé cette hypothèse ? Les lieux s’inspiraient du théâtre où les émotions les plus contraires, comme trembler de joie ou pleurer de rire, s’accordaient. Il pouvait en être de même dans le cas du fantôme : une farce dont quelqu’un s’était emparé pour fomenter son crime, et le tour de passe-passe finissait en tragédie. Celui qui tirait son épingle du jeu n’était ni la vicomtesse, ni le fantôme, mais un troisième larron, inconnu de tous, et que la troupe de Turlupin aurait sans doute transformé en bouffon macabre. Dans ce cas, le meurtre n’était pas prémédité et le marquis se trompait.
— Dans une fable de La Fontaine, deux voleurs se voient ôter le profit de leur larcin par l’arrivée impromptue d’un troisième gredin.
— Où voulez-vous en venir ? bougonna-t-il.
— Imaginons qu’il s’agisse, au départ, d’une simple farce. Mais son succès est tel qu’elle est connue de tous. Quelqu’un qui voudrait perpétrer un crime comprendrait sur le coup ce qu’il peut en tirer. Ainsi, son projet n’aurait pas été conçu avant , mais après l’apparition du fantôme. Une nuit et un jour, c’est bien assez. Et quel beau moyen de brouiller les pistes ! On cherche un meurtrier dans l’entourage de la vicomtesse ou parmi ceux qui furent dans la confidence alors qu’il niche, telle une vipère, auprès de Villorgieux...
— Les pistes sont si nombreuses qu’il devient difficile de trouver. Quels sont les ennemis de Villorgieux ? Je n’en sais rien.
— Qui est-il ?
— Il me semble qu’il occupe une charge ayant trait à nos colonies.
— Quoi d’autre ?
— Que dire ? s’emporta-t-il. Villorgieux ? Demandez à la marquise de Sévigné. Elle le connaît mieux que moi. C’est un janséniste.
— Une affaire religieuse ?
Soudain, le marquis s’impatienta :
— Avant de mettre votre sagacité au service d’une enquête, il faut se préoccuper de ce en quoi le fantôme nous pose un problème. Car l’affaire fait tant de bruit qu’elle pourrait compromettre notre action.
— Expliquez-vous, rétorquai-je brutalement.
— La mort de Villorgieux a paralysé la cour. Le sujet occupe les têtes. Si bien qu’on parle peu du faux retour de La Salle. J’ajoute que cette histoire de fantôme a réveillé la dévotion de certains. La messe ? Ils iront. Du moins, ils seront plus nombreux que je ne l’espérais. Et ils s’en féliciteront en découvrant que le roi est là.
En un instant, je me sentis perdue. La folle idée de Louis de Mieszko était engloutie par Thétis, déesse de la mer et, dans un tourbillon, l’espoir candide de la jeune fille d’un petit comte de province sombra dans les abysses vertigineux de cette grotte. Les statues elles-mêmes ne se moquaient-elles pas ? D’ailleurs, n’avaient-elles pas bougé ? Je dus fermer les yeux, calmer le sang qui battait à mes tempes pour me convaincre, peu à peu, que le mirage mouvant de l’eau était seul responsable. Il n’y avait pas de fantôme. Et si je décidais de ne pas rencontrer le roi, j’abandonnais aussi l’espoir de sauver mon père. Je dus batailler contre moi et contre ma peur pour rouvrir les yeux. Les statues étaient à leur place, le marquis à la sienne, et les tapotements impatients de sa main sur la canne témoignaient de sa nervosité.
Brusquement, il se dirigea vers la sortie de la grotte de Thétis :
— Voilà, Hélène. C’est bientôt l’heure de nous présenter. La cour est sur les dents, le roi d’une humeur que je n’ose imaginer. Bref, nos cartes sont très mauvaises. Pis, elles sont distribuées. Alors, que ferez-vous ?
La mise en garde de Jean-Baptiste me revint : Ne jouez pas avec le fantôme. Il appelle la mort...
Les statues de Louis XIV me regardaient avec aplomb : Alors, Hélène de Montbellay, es-tu décidée à comparaître devant notre maître, le roi de France ?
Je répondis en toquant du menton, ce qui surprit Louis de Mieszko. Mais n’est-ce pas cette innocence qui me décida ?
— Je ne changerai rien à mes
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