L'Insoumise du Roi-Soleil
plans, rétorquai-je rageusement au marquis de Penhoët qui, sur-le-champ, cessa de battre la semelle.
Et sans hésiter, il me prit par le bras :
— Eh bien ! Allons où le sort nous pousse fatalement .
Nous nous plaçâmes devant le Cabinet de Jupiter où le roi tenait conseil. Cette pièce se trouvait, on s’en souvient, au premier étage des Appartements, à l’extrémité de l’enfilade des salons que le roi mettait à disposition de la cour pour les Soirées dont j’avais apprécié, voilà peu, les usages.
Pour paraître, il fallait se poster ni trop loin ni trop près de la porte qui s’ouvrirait tout à l’heure. Et attendre, en espérant un regard, sésame d’une hypothétique faveur.
Nous étions trop nombreux à poursuivre le même dessein pour espérer que notre stratagème ait pu fonctionner. Croyait-on même au retour de La Salle ? Quelques présents s’interrogeaient encore. D’autres récitaient à mi-voix le compliment madré qu’ils comptaient adresser au monarque si celui-ci daignait s’intéresser à eux. Mais le roi se trouvait-il vraiment derrière cette porte ?
On questionnait les valets qui répondaient par une moue. Les solutions ne manquaient pas pour que Sa Majesté, décidant finalement d’emprunter un passage par derrière, s’échappe vers les appartements de la reine.
Le gros des courtisans parlait du fantôme. Les phrases étaient murmurées, les regards jetés. On épiait les alentours. Avait-on peur de soi, de ce que l’on savait, de ce que l’on avait commis ou d’une nouvelle apparition ? À l’évidence, l’étiquette était chamboulée et une sorte d’agitation fébrile succédait à l’ordonnancement glacé et huilé de la veille.
— Notre invention ne marchera pas, murmura le marquis de Penhoët. Il va être l’heure. Il faut nous retirer.
Soudain, le seuil infranchissable s’ouvrit et une voix forte éclata dans le salon :
— Le roi !
Une sorte de garde-à-vous s’organisa. Le Soleil se montra. Et il n’était pas seul. Dans la suite qui se pressait je crus reconnaître Colbert. Derrière eux, mais se tenant encore dans la pièce d’où sortait le souverain, j’aperçus la marquise de Montespan discutant avec une autre femme que je pris pour une dame de sa compagnie. Le roi pivota un instant, comme pour adresser un adieu silencieux à son intimité. Ce n’est qu’ensuite qu’il regarda, et toujours sans parler, les regards mielleux et les sourires patelins qui le courtisaient.
La scène semblait figée, alourdie par un silence indissoluble. L’inaltérable nous faisait face et lui seul pouvait décider du moment où son règne s’interromprait. Le roi était tête nue. Il ne tenait pas de canne. Il se voulait immobile et droit. Il attendait. Il se montrait. Il orchestrait ce moment d’éternité. Puis un mouvement infime décida du futur : ce fut un geste de la main, quand il la replaça à sa ceinture brodée d’or et d’argent. Aussitôt, un gentilhomme de la cour s’avança et rendit sa liberté au temps. Posté sur le côté droit, légèrement effacé, il entreprit de donner, ici et là, quelques détails sur les solliciteurs. Et le roi nous fit croire qu’il écoutait. Celui-ci était marquis et espérait présenter les plans d’une pompe à eau pour les jardins de Versailles. Celui-là était conseiller au Parlement de Paris et aspirait à entretenir Sa Majesté du commerce des peaux avec le Québec. Un autre, issu de la noblesse de robe, souhaitait la bénédiction royale pour le mariage de son fils avec une lointaine nièce de feu le cardinal de Retz – une demande délicate puisqu’il sollicitait une alliance avec le clan des Frondeurs.
Le roi ne sourcilla pas. Ni là, ni à aucun moment. Il verrait... Sans doute. Le roi ne bougeait pas et ne quittait pas des yeux le marquis de Penhoët.
Et moi.
Il ne fit aucun geste. Son regard suffit pour que le marquis s’incline. Mais Louis XIV ne lâcha rien. Il continua de nous observer un temps qui me parut insupportable tandis que le sang battait mes tempes. J’aurais fui si, d’un coup, il ne s’était décidé à parler :
— Ces jours-ci, je vous vois, ou peu, ou beaucoup, monsieur le marquis, dit-il d’une voix grave. Trop souvent aux Soirées d’Appartements, mais pas assez à l’heure de la messe. Faut-il croire que vous y serez, aujourd’hui ?
— Sire, je m’y rends de ce pas, après vous avoir salué.
— C’est une chance de me croiser, grinça
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