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L'Insoumise du Roi-Soleil

L'Insoumise du Roi-Soleil

Titel: L'Insoumise du Roi-Soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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vers lui et montra l’extrémité du canal, là où il n’y avait personne. Si , fit le marin qui se tenait debout.
    — C’est un gondolier ! fit-elle de sa voix claire. Il vient de la cité lacustre de Venise. Là-bas, m’a-t-on expliqué, il n’y a ni route ni chemin, et que de l’eau ! Que pensez-vous de la tenue de notre Argonaute 4 . Ah ! Soyez sincère, c’est moi qui l’ai décidée.
    — Ce taffetas de soie me rappelle la Commedia dell’Arte , fis-je prudemment.
    — Vous avez cent fois raison. Et c’est voulu, car il s’agit de vêtements de fête. Le linge est l’œuvre de nos couturières, les filles bleues de Versailles. Elles ne manquent pas de travail. Pensez qu’elles doivent coudre, broder, rapiécer, raccourcir, œuvrer pour plus de cinquante charpentiers, matelots et gondoliers qui vivent dans notre petite Venise 5 , non loin du Grand Canal.
    Elle glissa une main dans l’eau :
    — Pas un bruit, pas une secousse. Cet art authentique se transmet de génération en génération. Dans leur pays, les gondoles, c’est ainsi qu’ils appellent ces bateaux, font office de carrosse. Bientôt, vous découvrirez combien la promenade est aimable. Excitante... Et peut-être, glissa-t-elle, aurons-nous la chance de voir passer le roi ?
    La nuit ajoutait à l’illusion. Si je ne l’avais pas connue, j’aurais pu croire que cette femme n’avait pas plus de trente ans.
    Elle ouvrit un petit placard situé face au siège dans lequel nous allions, confortablement calées. Elle sortit un flacon de vin et deux timbales en argent finement ciselées qu’elle servit elle-même et en silence. Puis elle m’en tendit une :
    — Boirez-vous avec la femme la plus détestée de Versailles ?
    — Je le fais volontiers, d’autant que vous mentez !
    Elle sursauta et son visage se chiffonna :
    — Mon Dieu ! Vous aussi, vous me croyez capable de ce péché.
    — Non, madame, mais j’ai vu le roi et son regard ne peut tromper. Il ne vous hait point.
    Je crus lui faire plaisir, mais son visage s’éteignit.
    — Pour combien de temps ?
    Ce murmure s’adressait à elle. Mais aussitôt, la belle Athénaïs se ressaisit :
    — Pourquoi vous ai-je fait venir ? Vous vous interrogez, Hélène de Montbellay, lança-t-elle d’une voix légère. Eh bien ! Je m’inquiète pour ma protégée...
    Montespan voulait me faire parler et peut-être ne rien dire. Je ne devais pas tomber dans ce piège trop évident. Et mener la partie en reprenant le dessus.
    — Je crains que vos raisons ne soient plus graves et plus personnelles, répondis-je avec aplomb.
    Ne devais-je pas procéder ainsi pour découvrir ce qu’elle pensait à propos d’un complot cherchant à briser les hérésies qui entouraient le roi, dont elle, sa maîtresse ?
    Elle posa la timbale sur l’accoudoir de son siège. Oui, je l’avais étonnée. Elle allait me questionner, mais la galère entrevue peu avant vint à passer à côté de nous. Sa taille était imposante et l’orchestre jouait une charge militaire. Nous avait-on vues ? Le gondolier se mit à hurler. L’orchestre couvrit ses cris. On fonçait sur nous. Un instant, je crus même que cet assaut pouvait s’avérer délibéré. D’un coup de bras, notre marin fit heureusement pivoter son bateau et grâce à son adresse, nous évitâmes in extremis la collision. Enfin, on nous avait repérées. Le capitaine de la galère se saisit de la barre et vira sur tribord. Son vaisseau nous frôla pourtant. Des passagers se penchèrent pour juger du spectacle. Sancta Biergen 6 ! cria une femme. Malgré la nuit, je reconnus la reine. Qui jurait en espagnol. Mais quand elle comprit qu’il s’agissait de l’embarcation de madame de Montespan, elle rentra vite la tête. Il ne manquait plus que ça ! Un frôlement, une caresse sur leurs deux coquilles. La marquise donna de nouveaux ordres. Plus loin. Au fond. Dans la nuit. C’est là que nous allions.
    — En coulant, j’aurais pu arranger beaucoup de choses, bredouilla-t-elle.
    Ces choses qu’elle sous-entendait avaient-elles un rapport avec les crimes du fantôme ? Était-elle concernée par cette cabale ? Elle tremblait, ne lâchant pas des yeux la galère qui s’éloignait. L’émotion l’affaiblissait. Le moment était venu de profiter de l’occasion. Et de l’interroger sérieusement :
    — Craignez-vous pour votre vie ? insistai-je.
    — Qu’entend-on par vivre ? S’il s’agit de respirer, aimer, rire loin du roi, alors, je crains en

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