L'Insoumise du Roi-Soleil
conspiré pour vous mettre à mal ?
La marquise baissa les yeux :
— Le roi le sait peut-être. Il ne m’en a jamais parlé. La Reynie lui a confié des documents qui démontent la manœuvre intentée contre moi. Il a agi dans l’ombre, rendant compte au roi et à lui seul. Oh ! Il ne le fit pas pour moi. Mais quand il vit que Louis XIV souffrait de m’aimer et de douter à la fois, il agit pour le réconcilier avec lui-même. Ce lieutenant est ce qu’il est, mais je lui reconnais de servir loyalement le roi. En cela, nous sommes proches. Mais je ne le lui dirai jamais !
Elle sourit un instant, mais ne put garder cette allure. Son regard plongea de nouveau dans le noir de l’eau :
— Hélas, le miracle ne dura pas. Les blessures, les vexations, les humiliations, je ne les compte plus. On me refusa l’absolution, on m’empêcha de communier. J’étais la pécheresse. Pourtant, Jésus pardonna à Marie-Madeleine. Je pourrais jurer que je suis croyante et pieuse, et que je pèse le pain pendant le carême... mais me croirait-on ? Je pourrais dire combien nous prions ensemble, Louis et moi. À quoi cela servirait-il ? Je suis déjà condamnée. Pour qu’on pardonne mes péchés, faut-il que je me ceinture d’un cilice ? Faut-il que Louis fasse même pénitence et qu’il souffre tel le martyre ?
— Porte-t-il à la taille une ceinture de crin ? osai-je demander.
— Ses confesseurs voudraient qu’il en soit ainsi. Mais il souffre déjà de tant de maux, de ses jambes percluses de rhumatismes dont il ne parle jamais, et n’est-ce pas assez ? Pourtant, ils le torturent de leurs mots, ils le menacent de l’Enfer... Ils ont meurtri ce qu’il y avait de beau et de doux chez cet homme. Ils ont assassiné le prince que je connaissais.
— Qui, madame ?
— Bourdaloue, la Chaise, Péréfixe, Bossuet, Fléchier, Gaillard ! Les prédicateurs et tous les confesseurs et tous les directeurs de conscience... Ils ont tué la foi simple et honnête du Très-Chrétien Louis le Dieudonné pour lui enseigner la peur de Dieu.
— Les jésuites ?
— Peut-on dire qu’ils sont tous ainsi ? Mais ceux qui l’entourent ont compris ce qu’ils gagneraient en infectant l’esprit du roi. Ce poison qu’on glisse chaque jour en lui est plus redoutable que les fausses accusations de la Voisin. Oui, ils vont réussir.
— Mais que vont-ils réussir ? demandai-je prudemment.
— Tous ces désordres, toutes ces affaires ! ricana-t-elle. Il est temps de redresser la barre. Il y a dissonance entre le roi, l’homme et Versailles. On ne cesse de répéter qu’il lui faut harmoniser son palais, son Royaume, sa cour et désormais sa Foi. Je le sens rongé par sa conscience et vous ne savez pas combien il se sent dépassé par sa tâche. Parfois, il me regarde tristement. Il ne l’avoue pas, car les hommes – tous les hommes – sont lâches, mais je devine la fin. D’abord, on le convaincra d’accorder sa vie à sa Foi. Et je disparaîtrai. Je suis la figure, comme on dit, des âmes dissolues et ce n’est pas tant moi que l’on vise mais les mœurs que je représente. Ensuite, on persuadera le roi de rechercher ceux qui sont en accord avec ses croyances. Je sais qu’on le presse de se rapprocher de Maintenon. Elle confortera la forteresse morale qui s’installe autour de lui. Ainsi, même au lit, mon roi aura droit aux leçons de bonne conduite. Elle ? Je l’entends jouer l’effarouchée ! Devoir aimer un homme puissant qui ne compte pas ses efforts ? Mais si son Chemin de Croix l’y oblige, elle le fera. Ses amis jésuites diront au roi qu’il prend une sage décision. Le pouvoir du casuiste est de gouverner les cas de conscience. Maintenon n’en sera pas un, car elle est veuve, elle. Puis quand sa vie sera en ordre, on s’en prendra à son Royaume. On le persuadera qu’il doit l’unir sous sa seule religion. Et ce sera la fin de la liberté religieuse.
— Mais il ne peut pas ! m’exclamai-je.
— Le roi a tous les droits, fit-elle froidement, et la foi gallicane empêche même au pape de s’interposer.
— L’édit de Nantes ! Oubliez-vous que ce serment est sacré ?
— Louis XIV est prisonnier d’un autre engagement. Lors de son sacre, il a promis d’exterminer l’hérésie. Haereticas Exterminare . J’en fais le serment, ne cesse-t-il de murmurer depuis peu, quand nous sommes seuls et que son regard s’échappe.
Les mots prononcés par le roi me revinrent. Je respecte tous mes serments. Et
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