Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Insoumise du Roi-Soleil

L'Insoumise du Roi-Soleil

Titel: L'Insoumise du Roi-Soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
Vom Netzwerk:
doléances de ses gens. Tour à tour, il se faisait gazetier 15 , juge, officier, intendant, notaire, apothicaire, ou encore confesseur, pardonnant, pour sa part, plus souvent qu’un détenteur du titre officiel.
    À ceux qui venaient parler de leur misère, le comte de Saint Albert réservait une part de la bourse qui trônait sur la grande table en chêne autour de laquelle il conviait à s’asseoir tous les gens de sa société sans distinction de rang, d’âge ou de sexe. Plus souvent il donnait qu’il ne recevait, victime consentante d’une générosité dont tous se réjouissaient.
    Ce n’était pas sans irriter Berthe dont la bouche s’emportait autant que ses plats chargés d’épices qu’elle préparait à la saison froide au prétexte que ce qui tordait le palais brûlait aussi le poison de l’hiver.
    — Ce Chaumart vous a escroqué d’un bon louis, monsieur le comte. Les tracas dont il vous enivre se trouvent, selon moi, dans le vin qu’il boit depuis l’aube. Et tous les jours que Dieu nous offre. Même pendant le carême ! C’est un paresseux, un bon à rien, un misérable qui ne sait qu’engrosser sa pauvre femme, Ange-Madeleine. Pensez donc. C’est son neuvième. Et elle n’a pas trente ans...
    Berthe avait pris de l’âge, mais elle conservait toute sa vigueur. Sa méfiance à l’égard des hommes, excepté le cas de son maître, tenait sans doute au fait qu’elle n’en eût connu qu’un, voilà fort longtemps. Il se racontait aussi que le sieur en question avait fui sous la menace du bâton, après avoir soutenu que le lièvre de la cuisinière était trop faisandé. C’était probablement une fable, colportée ici et là pour se moquer de l’intéressée, mais il fallait profiter de son absence avant d’entamer le récit des Chroniques féeriques et inimaginables sur les potions magiques de la dragonne de Saint Albert. Si elle vieillissait, et soufflait de plus en plus fort, sa robustesse n’était pas légende et son bâton, posé près de la cheminée, existait bien.
    Aux premiers mots inquiétants de mon père, elle s’en saisit et le brandit au-dessus de sa tête : « Mordiou ! Que nous arrive-t-il encore du monde des hommes, monsieur le comte ? » Elle sondait mon père. Elle aussi devinait qu’il avait de mauvaises nouvelles à nous apprendre.
    — Calme-toi, ma bonne Berthe, reprit-il. Tes paroles piquantes, verseles dans ce bouillon. Quand j’y goûterai, je te dirai si elles sont accommodées à mon goût. Et ferme la porte, je recevrai plus tard. Je veux rester seul avec ma fille.
    — Dois-je sortir ? pleurnicha-t-elle.
    — Sûrement pas ! Tu dois surveiller ce qui mijote. Entends-tu mon estomac ? Il grogne d’impatience...
    — Je n’entends rien.
    — Tant mieux. Reste sourde encore un peu. Ce que j’ai à dire à ma fille, tu ne dois pas l’écouter. Alors, surveille la soupière, touille, graisse la poêle, fais chanter ce coq dans la marmite, mais plus un mot. Oreille et bouche cousues. C’est compris ?
    Berthe rougit de bonheur. Rien ne comptait plus que son petit royaume de Saint Albert dont elle était à la fois la gardienne, la tour la plus ronde et la plus forte.
    — Voulez-vous un peu de bon vin, monsieur le comte ?
    — Le meilleur ! Pas celui que tu réserves à ce pauvre Chaumart, mais le pichet que tu caches pour l’offrir à notre curé Passementier.
    Berthe rougit encore. On lui savait un penchant prude et honnête pour cet homme d’Église qui obtenait chaque dimanche, sans jamais réclamer, les subsides terrestres de la cuisinière : un pâté en croûte, une miche de pain, une pinte 16 de notre bon vin d’Anjou. Et quelques provisions, pour améliorer l’ordinaire de sa semaine. C’était son menu à chaque passage dominical. Et avant le souper.
    — Sers-en à Hélène, comme on le ferait à un homme. Elle en a l’âge et, pour la volonté et l’entêtement, elle est bien mieux équipée que les engourdis qui tournent autour d’elle.
    — Du vin pour votre fille Hélène ?
    — Ne joue pas l’idiote, Berthe ! Je sais que tu as déjà cédé à ses suppliques. De plus, ce que j’ai à lui apprendre est si lourd qu’il faut s’étourdir la cervelle.
    — Si grave, mon père ?
    — Bien plus que tu ne le crois.
    Berthe s’était signée. C’était un mauvais présage. Et ce jour-là, en effet, mon bonheur bascula. Miscent autumni et veris honores , ainsi que l’expliquait l’emblème fixé dans notre bibliothèque,

Weitere Kostenlose Bücher