L'Insoumise du Roi-Soleil
on se quitte. Chaque pas qui te séparera de lui te prouvera combien vous êtes unis pour toujours. Mais n’est-il pas normal qu’une belle jeune fille dise, un matin, au revoir à son père ? C’est aussi à cela que sert l’éloignement. Et à aimer plus fortement tous les enfants de Dieu... Maintenant, entends le pardon du Seigneur. Et n’oublie pas de prier chaque jour. Va en paix, ma très chère Hélène.
À la fin de son sermon, qui fut court, le curé Passementier revint sur cette belle idée. Il conclut, en glissant de sa voix douce : « Plus je m’éloigne et plus je me rapproche ». Mon père se tourna vers moi et me fit comprendre son accord : — Cet emblème sera fixé sur les murs de notre bibliothèque.
Puis nous communiâmes et il fallut partager le pain en minuscules morceaux tant il y avait de monde dans la chapelle.
Berthe organisa le rassemblement dès la fin de la messe. Amédée, le feutier, fit sonner les cloches si fort et si longtemps que notre bonne cuisinière dut donner de la voix pour annoncer à tous les présents qu’un souper serait servi.
— Et je vous ai fait du pain perdu !
Sa déclaration fut saluée par une clameur.
La dernière nuit, je ne dormis pas. Le vent entrait par la cheminée de ma chambre. Les braises faiblissaient. Les branches du chêne battaient à la fenêtre. Les deux coffres orientaux achetés par mon père au marchand vénitien luisaient dans la pénombre. J’y laissais mes rêves d’enfant et la baguette magique qui faisait fuir les ogres sortis de mon imagination. Quels périls allais-je devoir affronter ?
Je sortis de mon lit pour regarder une fois encore le portrait de ma mère fixé sur le mur du grand escalier. J’ouvris la miniature offerte par mon père et que je gardais au cou.
— Ici ou là, elle est toujours aussi belle.
Je sursautai. Mon père était derrière moi. Je pris sa main dans la mienne.
— Je tâcherai de lui faire honneur.
— Elle est déjà la plus fière des mamans.
Je ne pus retenir mes larmes plus longtemps.
Par un curieux effet, le vent tomba le jour de notre départ. Il faisait doux. Le ciel était dégagé. Bonnefoix se taisait. Mon père nous accompagna jusqu’au bord de Saint Albert. Sa liberté s’arrêtait là. Dans le vallon suivant, je le perdis de vue. Puis, le brouillard vint. Saint Albert s’y enfonça. Dedans, les visages de ceux que j’aimais défilèrent et mon cœur se serra.
Jean-Baptiste tira un morceau de lard cuit par Berthe. Damoclès battait à ma ceinture comme pour me rappeler les dangers à venir. Le maître d’armes Faillard l’avait fortement raccourcie. Désormais, elle passait pour une dague longue, ce qui était plus en accord avec celle qui la portait. Il y avait ajouté un joli ruban rouge 3 . Cette attention était l’ultime signe de sa prudence. Pour le quidam qui s’approcherait de moi un peu trop, je porterais une arme d’apparat. Qui se méfierait de celle d’une jeune femme ? Ainsi, espérait-il, je n’éveillerais ni les questions ni les soupçons.
— Ni l’envie d’en découdre, ajouta-t-il. Et, pour plus de sûreté, je vous invite encore à cacher cette arme sous le manteau. Ne la montrez qu’au dernier moment. Quand, ne pouvant plus reculer, vous devrez avancer et frapper en moins de temps que l’éclair foudroie la terre. La surprise, souvenez-vous...
Cet atout suffirait-il pour que j’agisse avec à-propos ?
Un jour après notre dernière leçon, Faillard avait quitté Saint Albert en soldat solitaire : un salut distant, un claquement de bottes, un sourire à mon père et à moi, pour finir. Il ne souhaitait pas s’associer aux « pleurs qui ajoutent à la peine et amollissent le corps sans soigner le cœur ». Pour quelle raison étais-je persuadée de le revoir ?
Puis était venu le temps des embrassades. Alors que Berthe menaçait de m’étouffer, mon père avait dit ces mots : — Versailles est un château de cartes. Le carreau correspond aux honneurs et au faste, le cœur aux sentiments, le pique à la mort. Seul le trèfle apporte l’espoir. À l’instant où tu les découvriras, il sera trop tard pour changer ton destin.
Saumur se montra. Sa voix résonna dans ma tête. Si mon sort était scellé, pourquoi entreprendre ce voyage ?
1 - Jeux de hasard à la mode à Versailles.
2 - Ce mot, racine, s’employait à l’époque pour désigner les légumes.
3 - L’homme en habit de parure nouait un ruban sur la garde de son
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