L'Insoumise du Roi-Soleil
signe que nous approchons. Serait-ce la première bonne nouvelle depuis que nous sommes partis ?
— De quoi te plains-tu, Jean-Baptiste !
— De tout, souffla-t-il alors que ses jambes trop courtes battaient les flancs de sa jument.
— Nous commencerons par quoi ?
— D’abord, je n’ai pas fermé l’œil depuis des lustres...
— C’est sans doute pourquoi tu as tant ronflé la nuit dernière. Je logeais à dix pieds de ta chambre et les murs de l’auberge étaient épais, pourtant, j’ai compté tes soupirs et ton contentement à dormir tout ton soûl. Je t’ai supplié : taisez-vous, Jean-Baptiste Bonnefoix. D’autres voix se sont jointes à moi pour que tu cesses tes bourdonnements de frelon. Rien n’y fit. Pour finir, je me suis levée, espérant mettre fin à ce récital. J’ai ouvert ta porte avec force ! Pas un mouvement. Au moins, te souviens-tu que j’ai secoué tes côtes pour te faire taire ?
— C’était vous ? murmura-t-il. Ainsi s’explique l’apparition qui a troublé mon repos.
— Ah ! tu y reviens. Tu vas gémir sur ces images qui hanteraient ton sommeil depuis que nous avons quitté Saint Albert.
— Je rêve. Qu’y puis-je ? Vous avez houspillé un brave qui se débattait avec un ours énorme. Il voulait nous dévorer, et celui de cette nuit était le plus cruel de son espèce. À peine l’avais-je chassé de mon esprit, retrouvant le calme dont votre botte m’avait privé, que surgissait devant mes yeux clos une bande de brigands de grand chemin. Ils volaient notre bourse et nous mourions de faim dans un bois hanté dont nous ne pouvions échapper du fait que nous étions pieds et mains liés. Ah ! l’image revient. J’en frissonne et mon ventre se tord.
— Et pour qu’il ne gargouille plus, tu le remplis en mangeant comme trois à chacune de nos haltes.
— Je suis prudent. Je fais des provisions, bougonna-t-il. Mais ce voyage est trop long. Je n’en peux plus de prévoir le moment où nous manquerons...
— Ta panse rebondie me renseigne sur les dérangements que produit ta sagesse. Tu manges pour apaiser ta peur, mais ta digestion peuple tes nuits de mauvais rêves. Pour mettre fin à ce cercle infernal, pressons-nous d’arriver à Paris.
— Détrompez-vous. Des maux autrement redoutables nous y attendent. Et mon estomac gémit de plus belle au simple fait d’y penser. Mon Dieu, pourquoi ai-je accepté ?
— Jean-Baptiste !
— Je vous prie ?
— De quels malheurs avons-nous été les victimes depuis notre départ ?
Il réfléchit longuement :
— Aucun, je vous l’accorde. Mais...
— Ni voleurs, ni ours, ni loup dans d’obscures forêts. Avons-nous souffert du manque d’hospitalité ?
— L’affirmer serait vous mentir.
— Te sens-tu malade ?
— Ni plus ni moins que d’habitude...
— Alors, tout va bien. Et j’écrirai ces bonnes nouvelles à mon père dès que nous serons installés chez la cousine de ma mère, madame de Sévigné.
— Faisons en sorte d’y parvenir entiers.
— Plutôt que de gémir, raconte-moi vers quoi nous nous dirigeons.
— Nous venons de laisser sur notre droite le séjour de Valois. Nous allons sur le faubourg Saint-Jacques. Observez les maisons qui longent ce chemin et dont l’allure est solide. Derrière chacune d’elles, se niche un potager fécond. Paris a faim. Et moi aussi ! Mais à quoi bon ajouter une bouche de plus dans ce monde étranger ?
— Veux-tu que nous fassions une halte ?
— Trop tard. Nous franchirons bientôt le Rubicon. Le train enjoué de ce Poussecul nous conduit vers la porte Saint-Jacques que vous apercevez déjà. Là-bas, nous nous arrêterons. Les auberges ne manquent pas. Mais avant, méfions-nous. La foule qui grossit autour de nous ne me dit rien. Elle n’est pas hostile, mais ne tardera pas à le devenir. Voyez comme ces gens nous dévisagent. Parmi ces curieux, combien y a-t-il de coupe-jarrets qui tendent l’oreille pour compter le nombre de livres qui tintent dans ma bourse alors que vous m’obligez à trotter ?
— Pour ma part, je ne vois que des visages enjoués. Ils viennent acheter, vendre, s’amuser ! Je ne sens aucune peur et aucune menace dans leurs yeux.
— Pour un peu, je vous croirais heureuse, souffla-t-il d’une voix théâtrale. Mais chacun a le droit de voir midi à sa porte.
Les cloches d’une église en profitèrent pour sonner les douze coups de la mi-journée. Jean-Baptiste écarquilla les yeux :
— S’agit-il d’un signe ?
—
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