L'Insoumise du Roi-Soleil
suite vers l’endroit le plus sombre de la salle. L’entretien dura peu. Quand ils revinrent, l’aubergiste avait changé de ton et de façon.
— Vous pouvez compter sur ma discrétion, dit-il en clignant encore de l’œil. Et pour notre affaire, c’est entendu. Voilà ma proposition : derrière cette maison, et non loin des écuries où vos chevaux seront bien traités, se trouve un carrosse dont je pourrais me séparer pour une pistole par jour.
— Dix livres ! s’écria Jean-Baptiste d’une voix forte.
— Alors, disons un écu et n’en parlons plus, répondit l’aubergiste dont le front se couvrait à nouveau de sueur.
La docilité de notre hôte avait-elle un rapport avec la messe basse dite à l’instant par Bonnefoix ? Pour m’en assurer, je décidai d’une nouvelle attaque :
— Une livre par jour, tentai-je d’une voix froide, vous voilà bien servi. J’ajoute, monsieur l’aubergiste, qu’en refusant cette offre, vous perdrez ce à quoi vous n’avez pas encore songé : la pension de nos chevaux. Le calcul est simple. Une livre par jour pour nos chevaux et le carrosse. N’y pensez pas trop longtemps, vos oies sont en train de brûler.
Il se précipita sur le feu, y jeta de l’eau, aspergea ses volailles. Quand il revint vers nous, il semblait épuisé.
— Je n’ai guère le désir de poursuivre ce combat. Deux livres et c’est entendu. De surcroît, je vous offre le repas pour fêter notre accord.
— Qui conduira l’attelage ?
— Mon neveu, chuchota-t-il. Ce garçon a ma confiance. Je l’accueille car il est orphelin. Et je dois le nourrir. Voilà pourquoi une livre, ce n’est rien...
Il essuya une énième goutte de sueur qui pouvait passer pour une larme.
— Mais, reprit-il, je vous garantis qu’il ne dira pas un mot de ce qu’il entendra. Bouche cousue... N’est-ce pas la devise de votre corporation ?
Pour la troisième fois, il cligna de l’œil. Qu’avait pu raconter Bonnefoix ?
— Attendez que nous soyons seuls, souffla ce dernier en me poussant dehors.
Son regard racontait le bonheur qu’il avait eu à rouler cet aubergiste :
— Je m’en doutais, cet homme a peur des mouches !
Il chargeait nos modestes bagages dans le carrosse que nous venions de louer. Nous étions dans les écuries. Jean-Baptiste était-il devenu fou ?
— Ne me regardez pas ainsi, sourit-il. Les mauvais rêves ne m’ont pas brûlé la cervelle, je suis sain de corps et d’esprit. C’est pourquoi, j’ai réfléchi et fait appel à une mouche pour nous venir en aide.
— Une mouche ? fis-je en écarquillant les yeux.
— Oui. Et celle-ci me donne l’occasion de vous donner une première leçon sur Paris. Tenez. Pansez Poussecul pendant que je vous raconterai. Et que l’élève reste attentive !
Il se posa lourdement sur un ballot de paille.
— Avant que La Reynie ne soit nommé lieutenant de police, les fripouilles, gredins, canailles de tous poils, écorcheurs et autres pendards avaient la vie belle...
— La Reynie ! criai-je. Cet homme qui a fait tant de mal à mon père ?
— De grâce, écoutez-moi... Ce magistrat de Bordeaux fut choisi par le roi pour sa fermeté. Pour comprendre le désordre de cette cité, songez que le lieutenant criminel de Paris fut lui-même occis par un voleur. Partout, il se disait « que le bois le plus funeste et le moins fréquenté était au prix de Paris un lieu de sûreté 1 ». Je parlais des ruffians, j’y ajoute les empoisonneurs. Ils se fournissaient dans de discrets potagers, semblables à ceux du faubourg Saint-Jacques dont je vous vantais les mérites ce matin. Un peu de ciguë de Socrate ou de cette Belle Dame dont la baie se confond avec la cerise ? Et voilà un contrat scellé dans les tourtes de pigeonneaux que madame de Brinvilliers offrait à ses victimes. Ni vu ni connu. Jusqu’à l’intervention de La Reynie lors de l’Affaire des Poisons.
— D’où tiens-tu ces histoires ?
— De Paris ! Il suffit d’écouter les conversations qui roulent dans les cabarets et les foires. Et grâce à votre père, mon bienfaiteur, le comte de Saint Albert, j’en ai fréquenté plus que nécessaire. Il séjournait à Versailles ou vaquait à ses affaires, et j’errais dans la ville... C’est pourquoi je peux parler des dangers qui rôdent autour de nous.
— Mais que vient faire une mouche dans cette histoire ? insistai-je.
— Patience... L’Affaire des Poisons, j’y reviens, a produit un effet dont je me réjouis :
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