L'Insoumise du Roi-Soleil
depuis, on protège un peu mieux les honnêtes gens. Oh ! ne croyez pas aux miracles. La cour qui porte le même nom est toujours active – et je vous supplie de ne jamais vous y rendre ! Les assassins prolifèrent toujours, malgré l’efficacité du lieutenant général de police.
— Tu parles encore de cet homme comme d’un bienfait. C’en est trop !
— J’ai de la mémoire, mademoiselle, minauda-t-il. Je sais, pour notre malheur, qu’il est plus fureteur qu’un chien de chasse. Mais c’est exactement de cela dont j’ai parlé à notre aubergiste... En somme, j’ai utilisé l’un de nos ennemis pour négocier au mieux nos affaires. N’est-ce pas une façon amusante de vous venger ? Voudriez-vous m’aider à porter ce bagage, j’ai le dos raidi par l’allure forcée que vous nous imposâtes avant ce dîner 2 .
— Je crois plutôt que tu as pris trois fois de cette oie qui empestait...
— Ah ! ce n’est pas aussi bon que la cuisine de Berthe. La regretteriez-vous ?
— Tais-toi ! Ou plutôt, explique-moi en quoi La Reynie a pu venir à notre secours.
— Pour l’aubergiste, vous et moi, nous sommes des mouches.
— Plaît-il ?
— Oui, nous volons de taverne en cabaret et nous nous posons où nous voulons. Nous mettons nos pattes et nos antennes à l’exact endroit où il ne faut pas. Dans la soupe, par exemple pour goûter ce que l’on mange, ou sur la tête pour apprendre ce qu’elle cogite, ou près de l’oreille pour entendre ce qui y entre. Ainsi, les mouches savent ce qui se dit, se pense ou s’échafaude dans l’ombre du Roi-Soleil.
— Tes mauvais rêves, ajoutés à la graisse, t’ont joué un sort, Jean-Baptiste...
— Non, je suis une mouche, car c’est ainsi qu’on nomme les espions du sieur La Reynie. Il en a mis en place des centaines dans Paris. Et ses mouches vont ici et là. Elles se collent aux gens. Elles écoutent et volent vers leur maître pour lui conter par le menu ce qui nuit au Royaume. Et à Louis XIV.
— Des espions ?
— C’est une autre façon d’appeler une mouche et vous n’imaginez pas combien cet animal fait peur aux Parisiens. Plus encore que le rat porteur de la rage.
— Aurais-tu osé affirmer que nous étions...
— Des mouches ! Oui, et en mission. Aussitôt, son ton a changé.
— Mais il ne t’a demandé aucune preuve ?
— On ne questionne pas les mouches. On sait qu’elles existent, qu’elles agissent incognito. La Reynie a recruté des hommes et des femmes dont personne ne connaît le visage. C’est sa force. Et sa faiblesse. Personne ne peut dire qui sont ses mouches. Un petit homme gros et une jeune et fort jolie demoiselle ? J’ai profité du mystère qui entoure ces espions pour emprunter leurs habits. Et, murmura-t-il, ce n’est pas la première fois que j’emploie cette ruse pour échapper à un danger ou pour négocier mes intérêts. Je sais comment m’y prendre... J’use de regards appuyés, de silences lourds. La mouche ! Son vol fait peur aux habitants de Paris, car pas un n’a la conscience tranquille, l’aubergiste en premier chef. Et je donnerais bien ma langue au chat pour savoir quel trafic se dissimule derrière son innocente devanture...
— Épargnez-vous ce sacrifice. Il contrebande le café, répondit une voix dans le dos de Bonnefoix. Et bien d’autres choses encore.
Mon compagnon se mit à trembler de la tête aux pieds. Je me retournai brusquement et, oubliant le conseil de maître Faillard, je saisis la garde de Damoclès. On nous avait surpris. Il faudrait faire front à coup sûr. Mais devant, à droite, à gauche, il n’y avait personne.
— Qui va là ? bredouilla Jean-Baptiste.
Alors, je vis surgir lentement de la stalle voisine où sommeillait un percheron flegmatique, une tête, un cou, deux bras, un torse, et le corps tout entier d’un jeune homme guère plus âgé que moi. Il sortit de son repaire, s’avança de trois pas et s’arrêta, les mains posées sur les hanches. Vingt-deux ou vingt-trois ans ? Il souriait d’un air narquois. Ce n’était pas ainsi que j’imaginais mon premier combat. Mais faudrait-il vraiment se battre puisqu’il ne tenait pas d’arme ? Et, en y regardant de plus près, il n’était même pas assez vêtu pour en dissimuler une.
Il portait, pour le haut, une chemise blanche dont les manches trop longues lui tombaient sur les mains. Pour le bas, un caleçon coloré comme celui de Pantalon 3 . Il était en outre chaussé de souliers plats
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