L'Insoumise du Roi-Soleil
et fins conçus, selon moi, pour la danse et non pour le combat et tenait dans la main droite un bonnet avec lequel il salua Jean-Baptiste en effectuant de la main un geste théâtral. Alors il se retourna vers moi et s’inclina en portant la main sur son cœur.
— Vous êtes sans doute les deux personnes que je dois conduire sans délai dans le Marais.
— Et vous êtes le neveu de l’aubergiste, gémit Bonnefoix.
— Cet homme n’est pas mon oncle, répondit-il d’un ton sec. Ce qui fait de lui un menteur. Et un voleur, comme vous l’avez justement deviné. Je me présente. Je suis Beltavolo, baladin et farceur. En somme un artiste, attaché à une troupe de théâtre italienne dont on dit qu’elle est la meilleure ! Mon métier est la Commedia dell’Arte . Ne craignez rien de moi, ma seule arme est en bois. Je ne la porte qu’en scène et pour faire rire.
Puis, négligeant Bonnefoix, le nommé Beltavolo sembla ne s’intéresser qu’à moi :
— Vous m’honoreriez en me considérant comme votre serviteur. Ne suis-je pas votre cocher ?
Il frappa trois fois du pied.
— Nobles gens et gentilshommes, prenez place, je vous prie. Le rideau se lève et le spectacle commence. Voici Beltavolo dans le rôle du postillon !
Il sauta sur un ballot de paille et se figea aussitôt, les bras levés vers le ciel. L’instant d’après, il dessinait dans l’air un carrosse imaginaire. Semblant satisfait de son invention et faisant mine de vérifier la solidité de l’ensemble, il grimpa dessus en jouant le maladroit. L’effet fut si parfait que je le crus voir escalader les degrés. Il trébucha, haussa les épaules comme pour s’excuser, me regarda. Je le trouvais poétique et touchant.
Il s’empara d’un fouet imaginaire et le jeta en avant. Les chevaux qu’il était censé conduire s’ébranlèrent sans doute trop vite car le bonnet qu’il avait replacé sur sa tête tomba sur ses yeux et son corps partit en arrière. Mais, en tirant les rênes qui n’existaient pas, il parvint à se redresser de la façon la plus drôle. Ce diable d’interprète claqua de la bouche. Le carrosse s’arrêta. Il en descendit. Le comédien salua.
Pendant le spectacle, je l’avais détaillé. Ses cheveux épais et bruns, en bataille, retombaient sur un visage aux traits nobles, éclairé d’un regard malicieux et toujours en mouvement. Bien que mince et solide à la fois, sa taille n’atteignait pas celle de mon père. Mais il dominait Jean-Baptiste d’une bonne tête et demie.
— Fais-je l’affaire ? L’inventaire de mademoiselle est-il terminé ?
Je rougis, sans renoncer au plaisir de le regarder. Ce jeune homme est charmant, me dis-je. Le temps passa encore. Nos regards restaient l’un sur l’autre. Sa peau était sans défaut et au premier sourire, ses lèvres bien dessinées laissaient apercevoir des dents régulières. Sa main fine et longue releva de son front une mèche bouclée dégageant l’ovale des yeux verts et clairs. Charmant, ce n’était pas assez. Gracieux, séduisant, enchanteur sont venus tourner dans mon cœur, et ces mots s’y installaient quand Jean-Baptiste Bonnefoix décida de briser ce moment céleste :
— Monsieur Beltavolo, dit-il en se grattant la gorge, vous affirmez de pas être le neveu de notre hôte. Et je vois que vous êtes plus comédien que cocher. Pourquoi cette invention ?
Beltavolo lui répondit sans me lâcher des yeux :
— L’aubergiste use de mensonges pour attendrir le chaland. Le fait d’employer un membre de sa famille serait un acte louable. Il ajoute que le destin s’est acharné sur son neveu. Il l’a dit ? Bien. A-t-il osé prétendre que mon père aurait été emporté par la tuberculose et qu’avant de mourir d’un flux de poitrine, ma tendre mère qui ne serait autre que sa sœur, l’aurait supplié, dans un dernier souffle, de prendre son enfant à sa charge ? Non. Vous avez raté ce moment, car à cet instant, il paraît qu’il soupire et ajoute qu’un catholique ne pouvait qu’accepter ce coup du sort, même si le poids des charges est lourd. Ensuite, il n’a plus qu’à annoncer son prix qu’aucun ne lui contestera. Ce coquin fait des affaires. Mais il lui faut un comédien pour aller dans son jeu...
— Et vous profitez de ce commerce honteux ! lançai-je malgré moi, tant j’étais déçue.
— Je remplace un autre faux neveu depuis ce matin. Nous jouons dans la même troupe et celle-ci cherche une scène. On m’a parlé
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