L'Insoumise du Roi-Soleil
d’un rôle. Un cocher ? Je n’en savais guère plus. J’avais faim. Ce motif compte pour beaucoup dans notre métier...
— Faut-il vendre son âme à toutes les comédies ?
— Croyez-moi, j’ignorais ces manœuvres. L’aubergiste m’a tout raconté alors que vous vous rendiez aux écuries. Il semblait inquiet et a insisté pour que je vous trompe parfaitement. Il ne voulait pas d’ennuis avec vous. Croyez-moi encore, je venais pour vous informer de sa duperie et vous apprendre que je refusais ce rôle...
— Dois-je vous faire confiance quand vous affirmez avec aplomb que vous n’avez pas profité de la crédulité d’autres voyageurs ?
— L’aubergiste vous dirait que je ne suis à sa solde que depuis ce matin. Mais si vous lui demandez, je crains de ne plus jamais tenir de rôle. Pour l’avoir trahi, il se vengera. Et adieu, Beltavolo !
En une pirouette, il s’effondra soudain dans la paille, les bras en croix. Bonnefoix ne put s’empêcher de l’applaudir :
— Allons ! Faute avouée est à moitié pardonnée. Relevez-vous, monsieur. Nous allons étudier votre cas et, sait-on jamais, nous déciderons peut-être de vous prendre comme cocher. Qu’en dites-vous, mademoiselle Hélène ?
J’allais répondre que j’étais cent fois d’accord, mais Beltavolo me devança :
— N’êtes-vous pas aussi un peu comédien et menteur ?
Toujours allongé, il ouvrit un œil :
— Je vous observe. Des mouches ? Il faut être stupide pour le croire. Il redressa le torse : Hélène, dites-vous ? Voilà qui ajoute à votre charme...
— Tout doux, monsieur ! intervint Jean-Baptiste. Vous nous conduirez dans le Marais, c’est votre contrat. Mais il s’arrêtera là. Peut-on même vous faire confiance ?
Beltavolo se remit sur pied et s’avança vers Bonnefoix :
— Vous vous méfiez du comédien, je le devine. Parce qu’il est sans attache. Qu’il grappille ses gages. Qu’il est sans foi. Vous avez tort, monsieur. L’artiste a son honneur. Mais ce sermon ne vous suffit pas. Le comédien sait jouer. Son texte est-il la vérité ? Qui se cache derrière le masque ? Qui est vraiment Beltavolo ? Voilà la question, conclurait le grand William Shakespeare !
— Plutôt que de déclamer, répliquai-je, répondez à celle-ci : Beltavolo est-il un nom de scène ?
— Oui, Hélène.
— Qui se cache derrière lui ?
Il répondit sans hésiter.
— François. Ce prénom vous plaît-il, Hélène ?
— Il en faut plus pour me décider. Votre nom ?
Il hésitait, l’idiot ! Il n’avait qu’à répondre pour que la bienséance soit sauve. Il lui suffisait de parler. Son nom, simplement, je ne réclamais que cela. Alors, je faisais mine d’y réfléchir, de peser le pour et le contre, de laisser la raison délibérer. Comme il soupirait, je me décidai, lui laissant croire qu’il forçait ma décision. Mais il se taisait toujours. Déçue, et plus triste que je ne voulais, je me détournai d’un coup :
— Tu as raison, Jean-Baptiste. Nous ferons affaire ailleurs.
— Attendez ! lança brusquement Beltavolo. Par ma naissance, je suis François de Saint Val.
Enfin, il se prononçait. J’avais ma réponse – et obtenu ce que je voulais. Mais il fallut que je joue encore les précieuses :
— Vous seriez noble ? fis-je du bout des lèvres.
— Dans une autre vie, j’étais le fils du chevalier de Saint Val, avoua-t-il d’une voix triste... Cette origine m’a laissé de belles façons dont je sais me souvenir. Mon honneur sera de vous servir.
Tout mon être me soufflait de mettre fin à mes défenses. Alors, je dis adieu à la prudence :
— Quand partons-nous ? m’exclamai-je en riant.
Bonnefoix leva une main :
— Prenons cette confidence avec précaution.
— Allons ! Jean-Baptiste, il faut voir au-delà des apparences...
— Velantur mollia duris , glissa doucement François de Saint Val.
— Monsieur, je n’entends rien à votre science, soupira Bonnefoix.
— Sous des dehors ardus ma douceur est cachée, répondit-il.
Jean-Baptiste sonda encore Beltavolo. Un tire-laine parlait-il le latin ?
— Jean-Baptiste ! C’est oui, assenai-je à nouveau.
Il soupira. Sa réticence fut vaincue.
— Soit. Allons payer l’aubergiste et partons. Mais avant, monsieur de Saint Val, dites-moi encore ce qu’il en est de ce commerce douteux portant sur le café...
— Ce trafiquant profite de sa situation pour se faire livrer du café qui provient de l’empire ottoman. Je devine le
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