Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
entraves qui les retenaient, et il s’éveilla couvert d’une sueur froide.
L’air du matin commençait à se faire sentir au travers de ses rideaux à demi ouverts, et les premiers rayons du jour doraient les clochers de la ville. Lionel sauta à bas de son lit, et il avait déjà fait plusieurs fois le tour de sa chambre dans le vain espoir de chasser les images importunes qui l’avaient harcelé pendant son sommeil, lorsqu’un bruit sourd et prolongé, que le silence de l’air rendait plus frappant encore, vint frapper trop distinctement son oreille pour qu’il pût s’y méprendre.
– Ah ! dit-il en lui-même, je ne rêvais donc qu’à moitié ; ce n’est donc point là le bruit d’une tempête imaginaire, mais celui du canon, qui parle clairement à l’oreille du soldat.
Il ouvrit sa fenêtre et promena ses regards autour de lui. Les décharges d’artillerie se succédaient alors rapidement, et Lionel chercha à en découvrir la cause. Il savait que Gage avait résolu d’attendre l’arrivée de ses renforts avant de frapper un coup qu’il croyait devoir être décisif, et les Américains n’étaient pas assez bien pourvus de munitions de guerre pour perdre une seule charge de poudre dans une de ces vaines attaques de nos sièges modernes. La connaissance de ces faits redoublait l’impatience qu’éprouvait le major Lincoln de pénétrer le mystère de cette alerte imprévue. Toutes les fenêtres des maisons voisines se garnirent bientôt l’une après l’autre d’habitants surpris et alarmés. De temps en temps un soldat à demi habillé ou un citoyen inquiet passait rapidement le long des rues désertes pour aller voir ce qui se passait. Des femmes effarées commencèrent à se précipiter hors des maisons ; mais en entendant les coups retentir avec dix fois plus de force encore en plein air, elles rentraient aussitôt pâles et glacées d’effroi.
Lionel essaya de parler à trois ou quatre des hommes qui passaient sous ses fenêtres ; mais ils se contentaient de tourner les yeux de son côté d’un air hagard, et poursuivaient leur chemin sans lui répondre, comme si les circonstances étaient trop graves pour permettre aucun discours. Voyant que ses questions réitérées étaient inutiles et qu’il ne pouvait obtenir d’éclaircissements, il prit le parti de s’habiller à la hâte et de descendre dans la rue. Au moment où il était sur le seuil de la porte, un artilleur à demi habillé passa en courant devant lui, ajustant d’une main ses vêtements, tandis que de l’autre il portait quelques uns des attributs du corps particulier dans lequel il servait.
– Que signifient ces coups de canon, sergent ? demanda Lionel ; et où courez-vous ainsi la mèche à la main ?
– Les rebelles ! Votre Honneur, les rebelles ! cria le soldat tournant la tête pour répondre, sans cesser de courir : je cours à ma pièce !
– Les rebelles ! répéta Lionel lorsque l’autre était déjà bien loin ; qu’avons-nous à craindre d’une poignée de provinciaux dans la position que nous occupons ? Ce drôle se sera endormi loin de son poste, et la crainte d’être réprimandé se mêle à son zèle pour son roi.
Les habitants commencèrent alors à sortir de leurs maisons ; Lionel imita leur exemple et se dirigea vers les hauteurs adjacentes de Beacon-Hill. Il gravit la colline escarpée, lui vingtième, sans échanger un seul mot avec des hommes qui semblaient aussi surpris que lui-même de cette interruption soudaine de leur sommeil, et en moins de quelques minutes il était sur la petite plateforme, entouré d’une centaine de spectateurs, dont les regards se dirigeaient tous sur le même point.
Le soleil venait de soulever le voile vaporeux étendu sur la surface de l’eau, et l’œil pouvait parcourir librement la mer. Plusieurs bâtiments étaient à l’ancre dans les détroits de Charles et du Mystick, pour couvrir l’abord de la place du côté du nord ; et en voyant la colonne de fumée blanche qui s’élevait autour des mâts d’une frégate amarrée au milieu, Lionel ne fut plus embarrassé pour comprendre d’où le feu provenait. Tandis qu’il continuait à regarder, incertain sur les raisons qui demandaient ces démonstrations d’hostilités, d’immenses nuages de fumée s’échappèrent à la fois des flancs d’un vaisseau de ligne qui commençait à faire jouer ses grosses pièces. L’instant d’après, plusieurs batteries
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