Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
lui-même était devenu muet, et Agnès oublia de faire à la mariée son compliment de félicitation, et de lui exprimer les souhaits que pendant la cérémonie elle n’avait cessé de former pour son bonheur.
Le docteur murmura quelques mots entre ses dents pour recommander à Job d’éteindre le feu et les chandelles, et il sortit sur les pas des mariés avec une précipitation qu’il lui plut d’attribuer à l’heure avancée, laissant le fils d’Abigaïl Pray en possession de la chapelle.
CHAPITRE XXIII
Gardez-vous de le juger ; car nous sommes tous pécheurs ; fermez-lui les yeux et tirez le rideau ; ensuite laissez-nous tous à nos méditations.
SHAKESPEARE. Le roi Henry V .
Les quatre amis, pensifs et silencieux, entrèrent dans le sleigh, et la voix seule de Polwarth se fit entendre lorsqu’il donna précipitamment ses ordres au domestique qui fermait la portière. Le docteur Liturgy s’avança alors, et fit aux mariés les compliments d’usage. Le sleigh partit avec la même rapidité que si le cheval qui le traînait eût pu deviner l’impatience de ses maîtres, et bientôt le bruit de la voiture s’unit seul à celui de la tempête, dans des rues que tous les êtres vivants paraissaient avoir abandonnées.
Dès que Polwarth eut descendu ses compagnons à la porte de Mrs Lechmere, il murmura les mots de bonheur et de demain , et oubliant le souper auquel il avait été invité, il repartit avec la même vitesse qu’il était venu. En entrant dans la maison, Agnès monta chez sa tante pour lui apprendre que la cérémonie était terminée, tandis que Lionel conduisait sa jeune épouse dans le parloir.
Cécile immobile et debout ressemblait à une statue, pendant que son mari la débarrassait de son schall et de sa pelisse ; ses yeux fixés sur le parquet et toute son attitude exprimaient l’émotion profonde que lui avait fait éprouver la scène qui venait de se passer. Lorsqu’elle eut dégagé sa taille légère des vêtements lourds et chauds dont il l’avait enveloppée lui-même en sortant de l’église, il l’attira doucement vers le sofa, où il s’assit près d’elle, et, pour la première fois depuis qu’elle avait prononcé le oui solennel, elle rompit le silence.
– Était-ce un effrayant présage ? dit-elle en balbutiant tandis qu’il la pressait contre son cœur, ou n’était-ce qu’une horrible vision ?
– Ce n’était rien, mon amour… c’était une ombre… celle de Job Pray, qui était venu avec moi pour allumer les cierges.
– Non ! non ! non ! dit Cécile vivement et avec une énergie toujours croissante, ce n’étaient point là les traits insignifiants du pauvre idiot ! Savez-vous, Lionel, que, dans le profil effrayant et caractérisé qui s’est réfléchi sur le mur, j’ai trouvé une ressemblance frappante avec notre grand-oncle, celui de qui votre père a hérité du titre de baronnet, et qu’on appelait sir Lionel-le-Sombre ?
– Que n’est-on pas porté à se figurer dans de pareilles circonstances ! Mais de grâce, chère Cécile, qu’aucune triste pensée ne vienne empoisonner d’aussi doux instants.
– Suis-je triste ou superstitieuse par habitude, Lionel ? dit-elle d’une voix si tendre qu’elle pénétra le cœur de son mari. Mais cette vision s’est montrée dans un tel moment et sous une telle forme, qu’il faudrait être plus qu’une femme pour ne pas trembler de ce qu’elle me présage.
– Que pouvez-vous craindre, Cécile ? Ne sommes-nous pas mariés, unis par des nœuds irrévocables et solennels ? Cécile tressaillit, mais Lionel, voyant qu’elle ne voulait ou ne pouvait répondre, continua : – N’est-il pas hors du pouvoir de l’homme de nous séparer ? et ne sommes-nous pas unis, non seulement avec le consentement, mais même d’après le désir formel de la seule personne qui ait des droits sur nous ?
– Je crois tout ce que vous me dites, Lionel, dit Cécile en jetant autour d’elle des regards vagues et inquiets ; oui, oui, nous sommes mariés ; oh ! avec quelle ferveur j’implore celui qui voit tout et qui gouverne tout, pour qu’il bénisse notre union ! mais…
– Mais quoi, Cécile ? Est-il possible qu’un rien, qu’une ombre vous affecte à ce point ?
– C’était une ombre, comme vous dites, Lincoln ; mais où était l’homme ?
– Cécile, ma bonne, mon excellente Cécile, ne laissez pas votre esprit s’affaisser dans cette incroyable
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