Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
apathie. J’en appelle à votre raison, peut-il y avoir une ombre lorsque rien n’obstrue la lumière ?
– Je ne sais, je ne puis raisonner, je n’ai pas de raison. Tout est possible à celui qui n’a pour loi que sa volonté, et dont le plus léger signe de tête ébranle l’univers. Il y avait une ombre, une ombre éloquente et terrible ; mais qui peut dire où était la réalité ?
– Je serais tenté de répondre : avec les fantômes, seulement dans votre imagination trop ardente, ma chère amie. Mais revenez à vous, Cécile, et réfléchissez qu’après tout il est possible que quelque désœuvré de la garnison se soit amusé à suivre mes pas, et qu’il ait trouvé moyen de se cacher dans la chapelle, peut-être pour le seul plaisir de faire du mal, peut-être aussi sans aucun motif.
– Il aurait choisi alors un moment bien solennel pour ses folies.
– Peut-être était-ce quelqu’un qui n’avait d’autre envie que de produire un coup de théâtre, et de voir quel effet en résulterait. Mais faut-il que d’aussi pitoyables plaisanteries empoisonnent un seul instant notre bonheur ? ou faut-il nous croire voués à l’infortune parce qu’il se trouve un fou dans Boston ?
– C’est une faiblesse, c’est une sottise, j’en conviens ; il y a même quelque chose d’impie dans cette terreur, Lincoln, dit-elle en tournant les yeux sur lui et en s’efforçant de sourire ; mais que voulez-vous ? je suis femme, et c’est m’attaquer dans l’endroit où je suis le plus sensible. Vous savez que je n’ai point de réserve avec vous maintenant. Le mariage est pour nous le lien qui réunit toutes les affections en une seule. Pourquoi faut-il, lorsque le cœur ne devrait être rempli que de douces pensées, pourquoi faut-il qu’il se rappelle ces mystérieux présages qui ont répondu à l’appel imposant du prêtre ?
– Éloignez toutes ces idées sinistres, ô ma bien-aimée ! dans un moment où nous ne devons songer qu’au bonheur. N’en doutez pas, ces nœuds que nous avons formés seront bénis dans le ciel, comme ils l’ont été sur la terre. Lorsque la conscience est tranquille, pourquoi se livrer à de tristes pressentiments ? Ah ! soyons tout à notre amour !
Il y avait quelque chose de si touchant dans le son de voix de Lionel, tout en lui annonçait un intérêt si tendre, qu’il réussit enfin, en grande partie, à éloigner de l’esprit de Cécile les vagues terreurs qui l’agitaient. Pendant qu’il parlait, des couleurs vermeilles venaient animer de nouveau les joues de la jeune épouse, et lorsqu’il eut fini, elle tourna sur lui un regard attendri où se peignait une douce confiance. Elle répéta le mot d’amour avec un sourire qu’il était impossible de ne pas comprendre, et au bout de quelques minutes il était parvenu à dissiper entièrement les pressentiments funestes auxquels elle avait laissé prendre un ascendant momentané sur sa raison.
Mais si le major Lincoln avait combattu si bien et avec tant de succès les appréhensions de son épouse, il ne lui fut pas si facile de remporter sur lui-même une semblable victoire. Cette sensibilité portée jusqu’à l’excès, qu’il tenait de famille, avait été excitée à un point très-alarmant par les incidents de la veille, quoique son amour pour Cécile fût parvenu à la maîtriser aussi longtemps qu’il avait été lui-même témoin de sa faiblesse. Mais à mesure que Cécile, cédant à sa douce éloquence, se laissait persuader d’oublier de fâcheux souvenirs, ces mêmes souvenirs se présentaient plus vifs et plus poignants à l’esprit de Lionel, et, malgré tous ses efforts, il n’aurait pu cacher longtemps encore à sa jeune épouse le trouble qui le dévorait, si heureusement Agnès n’était venue dire que Mrs Lechmere désirait voir les nouveaux mariés.
– Venez, Lincoln, lui dit sa charmante compagne en se levant aussitôt ; il y a de l’égoïsme à nous d’avoir oublié si longtemps toute la part qu’elle prend à notre bonheur. C’est un devoir que nous aurions dû remplir, sans attendre qu’elle fût obligée de nous le rappeler.
Lionel, pour toute réponse, lui serra tendrement la main, et passant le bras de Cécile sous le sien, il suivit Agnès dans le petit vestibule qui conduisait aux étages supérieurs de la maison.
– Vous connaissez le chemin, major Lincoln, dit miss Danforth, et si vous l’aviez oublié, madame la mariée est là
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