Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
farouche sur le malheureux qui venait d’être si singulièrement soustrait à sa vengeance. Pas un soldat ne restait alors dans la chambre, et le bruit de leurs pas et de leur conversation ne tarda pas à se perdre dans la distance.
Cécile jeta alors un coup d’œil rapide sur ceux qui restaient auprès d’elle. Du moment qu’elle reconnut Polwarth, et qu’elle vit son air de surprise, le sang ranima les roses de ses joues, et elle baissa les yeux avec un air d’embarras.
– Je suppose que le même objet nous a tous deux amenés ici, capitaine Polwarth, lui dit-elle quand elle eut surmonté le léger mouvement de confusion qu’elle avait éprouvé, la sûreté d’un ami commun.
– Vous me rendez justice, répondit Polwarth ; après avoir rempli les tristes devoirs dont votre belle cousine m’avait chargé, je me suis hâté de me rendre ici pour suivre un fil qui, comme j’ai lieu de le croire, doit nous conduire à…
– À ce que nous désirons savoir, dit Cécile en jetant un coup d’œil inquiet sur les autres témoins de cette scène ; mais notre premier devoir est l’humanité. Ne peut-on faire reporter ce malheureux jeune homme dans sa chambre, et lui faire donner les secours dont il doit avoir besoin ?
– Cela peut se faire sur-le-champ ou quand nous l’aurons interrogé, répondit Polwarth avec un air de froideur et d’indifférence qui fit que Cécile le regarda avec surprise. S’apercevant de l’impression défavorable que son apathie produisait sur elle, le capitaine se tourna nonchalamment vers deux hommes qui étaient encore à la porte, d’où ils avaient vu tout ce qui venait de se passer.
– Shearflint, Meriton, approchez, et emportez ce drôle dans l’autre chambre.
Cet ordre ne plaisait nullement à chacun des deux domestiques. Meriton murmura à demi-voix, et il était sur le point de désobéir plutôt que de se charger d’un fardeau si dégoûtant. Mais quand Cécile eut ajouté ses prières aux ordres de Polwarth, il n’hésita plus à accomplir ce devoir désagréable, et Job fut reporté sur son grabat dans la petite chambre d’une tourelle, d’où les soldats l’avaient tiré, une heure auparavant, pour le tourmenter plus à leur aise dans le grand appartement.
Quand Abigaïl avait cessé de craindre que les soldats se portassent à quelque acte de violence contre son fils, elle s’était jetée sur le tas de vieilles cordes dont une partie avait servi à entretenir le feu, et elle y était restée dans une sorte d’inertie et de stupeur, pendant qu’en transportait son fils dans sa chambre ; mais voyant alors que Job n’était entouré que de personnes qui, loin de vouloir lui nuire, ne cherchaient qu’à lui être utiles, elle les suivit dans la petite chambre, y porta une chandelle qu’elle alluma, et observa avec attention tout ce qui se passait.
Polwarth semblait penser qu’on en avait fait bien assez pour Job, et il restait debout d’un air un peu sombre, paraissant attendre le bon plaisir de Cécile ; elle avait dirigé le transport du malade avec ce soin attentif qui n’appartient qu’à une femme, et quand il fut effectué, elle ordonna aux domestiques de se retirer dans l’autre pièce et d’y attendre ses ordres. Quand Abigaïl vint se placer en silence près du lit de son fils, il ne restait donc, avec elle et le malade, que Cécile, Polwarth et l’inconnu qui paraissait avoir conduit Cécile dans le magasin. La faible clarté de la chandelle qui brûlait ne servait qu’à faire mieux apercevoir la misère de cet appartement.
Malgré la ferme mais calme résolution que Cécile avait montrée en parlant aux soldats, et dont on voyait encore des traces dans l’éclat de ses yeux brillant d’intelligence, elle parut vouloir profiter de l’obscurité de la chambre pour cacher ses traits expressifs même à la seule femme qui s’y trouvait avec elle ; elle rabattit son capuchon jusque sur ses yeux, se plaça dans l’endroit le moins éclairé, et adressa enfin la parole à l’idiot.
– Job Pray, lui dit-elle avec une chaleur qui rendait le son de sa voix doublement intéressant, je ne suis pas venue ici dans l’intention de vous punir ni de vous intimider par des menaces : je viens vous interroger sur un sujet sur lequel il serait mal à vous, cruel même, de vouloir me tromper, ou de chercher à me rien cacher.
– Vous n’avez pas à craindre que mon fils vous dise autre chose que la vérité, dit
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