Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
ton solennel ; la Providence nous a déjà mis sur le chemin, et dans quelques minutes nous serons au but. Permettez à cette femme timide et tremblante de rentrer dans le village, et suivez-moi.
– Je ne ferai pas un seul pas ! répondit Lionel en serrant plus étroitement le bras de Cécile ; c’est ici que nous nous séparerons ou que vous accomplirez vos promesses.
– Suivez-le ! suivez-le ! lui dit à voix basse la craintive Cécile presque suspendue à son bras. Cette contestation peut causer votre perte. Ne vous ai-je pas dit que je vous accompagnerai partout ?
– Marchez donc, dit Lionel à Ralph en lui faisant signe d’avancer ; je me fie à vous encore une fois, mais usez de ma confiance avec discrétion. Souvenez-vous que mon ange gardien est avec moi, et que vous ne conduisez plus un homme dont l’esprit est égaré.
Les rayons de la lune, tombant sur les traits flétris du vieillard, y révélèrent un sourire tranquille, tandis qu’il reprenait silencieusement sa marche rapide. Ils n’étaient encore qu’à peu de distance du village ; ils voyaient encore les bâtiments dépendant de l’université, et entendaient les cris tumultueux des soldats rassemblés devant la porte des auberges, et même les mots de guerre échangés par les sentinelles. Leur conducteur se dirigea alors vers une église solitaire dont il leur fit remarquer l’architecture extraordinaire parce qu’elle était régulière.
– Ici, du moins, dit-il en passant devant ces murs, Dieu règne dans son temple sans y être insulté.
Lionel et Cécile jetèrent un coup d’œil sur ces murs silencieux, et suivirent Ralph dans un enclos qui y touchait, en passant par une brèche pratiquée dans une haie qui le fermait. Là Lionel s’arrêta de nouveau.
– Je n’irai pas plus loin que vous ne m’ayez satisfait, dit-il ; et, sans y penser, il fortifiait cette déclaration en appuyant le pied sur un monticule de terre gelée, dans une attitude de résistance. Il est temps que je cesse de songer à moi-même, et que je pense à la faiblesse de celle que je soutiens.
– Ne pensez pas à moi, cher Lincoln ! je…
Cécile fut interrompue par le vieillard qui, ôtant son chapeau d’un air grave et exposant ses cheveux gris aux rayons de la lune, dit d’une voix que son émotion rendait tremblante :
– Ta tâche est terminée ; tu as atteint l’endroit où reposent les restes de celle qui t’a portée dans son sein : jeune homme irréfléchi, ton pied sacrilège foule les cendres de ta mère.
CHAPITRE XXXII
Ah ! la vieillesse a des jours pénibles et des nuits de douleur et d’insomnies ! O toi, heureux printemps de la vie, pourquoi ne peux-tu revenir ?
BURNS.
Le silence qui succéda à cette déclaration imprévue fut semblable à celui dont étaient frappés les êtres jadis animés qui reposaient autour d’eux. Lionel frémissant fit un pas en arrière, et, imitant le vieillard, il se découvrit la tête par respect pour sa mère, dont les traits se présentaient encore à son imagination, comme les souvenirs imparfaits de l’enfance, ou ceux qui restent de quelque rêve. Quand il eut donné le temps à sa première émotion de se calmer, il se tourna vers Ralph, et lui dit :
– Et c’était ici que vous vouliez m’amener pour m’apprendre l’histoire des malheurs de ma famille ?
– Oui, répondit le vieillard avec une expression d’angoisse et de compassion peinte sur tous ses traits, et d’une voix dont l’accent était plus doux que de coutume ; c’est ici, c’est sur le tombeau de ta mère, que tu en entendras le récit.
– Commencez-le donc sur-le-champ, s’écria Lionel dont les yeux étincelants semblaient s’égarer, et en proie à un désordre qui glaça le sang dans les veines de Cécile, tandis qu’elle examinait avec la sollicitude d’une femme le changement subit de sa physionomie ; je vous écouterai sur ce terrain consacré, et si tout ce que vous m’avez donné à entendre se trouve vrai, je jure que ma vengeance…
– Non ! non ! non ! s’écria Cécile d’un ton alarmé ; ne l’écoutez pas ! ne vous arrêtez pas, Lincoln ! vous n’êtes pas en état de soutenir cette scène !
– Il n’est rien que je ne sois en état de soutenir dans une telle cause.
– Vous vous exagérez vos forces, Lionel. Ne songez à présent qu’à votre sûreté ! Dans un autre moment, dans un moment plus heureux, vous saurez tout, oui,
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