Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
tout ! C’est moi, Cécile, votre femme, qui vous promets que tout sera révélé.
– Vous !
C’est la descendante de John Lechmere qui te parle, dit Ralph avec un sourire qui produisit sur Lionel l’effet d’un sarcasme ; et ton oreille ne peut refuser de l’écouter. Va, tu es plus propre à figurer dans un banquet nuptial que dans un cimetière !
– Je vous ai dit que j’étais en état de tout soutenir, répondit Lionel avec fermeté. Assis sur cette humble pierre, j’écouterai tout ce que vous aurez à me dire, quand même des légions de rebelles m’environneraient pour me donner la mort.
– Quoi ! oseras-tu braver les regards suppliants d’une femme qui t’est si chère ?
– J’oserai tout, quand la piété filiale l’ordonne.
– Bien répondu ; et ta récompense est proche. Ne regarde pas cette sirène, ou tu manqueras de résolution.
– Ma femme s’écria Lionel en entourant d’un bras la taille de Cécile toute tremblante.
– Ta mère ! dit Ralph en étendant sa main desséchée vers le monticule de terre gelée qui couvrait la défunte.
Lionel s’assit, ou plutôt tomba sur la pierre sépulcrale dont il venait de parler ; et, appuyant un bras sur son genou, il soutint sa tête avec une main, dans une attitude de profonde attention. Le vieillard sourit avec une expression de satisfaction farouche en voyant cette preuve du succès qu’il avait obtenu ; et il alla s’asseoir aussi sur une pierre de l’autre côté du tombeau qui semblait devenu le foyer de leur intérêt commun. Il appuya son front sur ses mains, et resta quelques instants en silence comme s’il eût cherché à mettre de l’ordre dans ses pensées, et à préparer ce qu’il avait à dire. Pendant ce court intervalle, Cécile s’assit en tremblant près de Lincoln, et, fixant les yeux sur lui, elle suivait avec une attention inquiète tous les changements qui se succédaient sur la physionomie expressive de son mari.
– Tu sais déjà, Lionel Lincoln, dit Ralph en levant lentement la tête pour porter ses regards sur le major, que dans les siècles passés ta famille vint dans les colonies pour y trouver la liberté de conscience et la paix du juste. Tu sais aussi (car nous en avons discouru bien souvent pendant les longues veilles de la nuit, tandis que les vagues toujours inquiètes de l’océan roulaient autour de nous) que la mort abattit la branche aînée de ta famille, qui était restée au milieu du luxe et de la corruption de la cour d’Angleterre, et qu’elle laissa ton père hériter de tous les honneurs et de toutes les richesses de ta maison.
– La dernière des commères de la province de Massachusetts sait tout cela, dit Lincoln avec impatience.
– Sans doute ; mais ce qu’elles ne savent pas, c’est que, par suite de décrets inévitables de la Providence, cette accumulation de fortune sur la tête de ton père était prévue longtemps avant qu’elle arrivât. Elles ne savent pas que cette attente faisait regarder avec des yeux bien différents le fils orphelin d’un soldat sans fortune, même par ses plus proches parents. Elles ne savent pas que cette femme intéressée, cette Priscilla Lechmere, la tante de ton père, aurait remué ciel et terre pour voir ces richesses et ces honneurs, dont la perspective pour son neveu la rendait déjà si fière, appartenir à ses descendants en ligne directe.
– Cela était impossible ; elle était de la branche féminine ; elle n’avait pas de fils.
– Rien ne paraît impossible à ceux dont le levain de l’ambition ronge le cœur avide. Tu sais qu’elle a laissé une petite-fille. Cette petite-fille n’avait-elle pas une mère ?
La liaison de ces deux idées fit entrer une conviction pénible dans le cœur de Lincoln, et celle qui était le sujet de cette remarque appuya la tête sur l’épaule de son mari, de honte et de chagrin, ne sentant que trop la justice et la vérité de ce que disait de son aïeule l’être mystérieux qui s’exprimait ainsi.
– À Dieu ne plaise que moi, chrétien et gentilhomme, continua le vieillard avec quelque fierté, je prononce un seul mot, une seule syllabe, qui puisse tendre à souiller le nom sans tache de celle dont j’ai parlé en dernier lieu, de la fille de cette femme coupable ! L’être aimable qui tremble près de toi, Lionel, ne peut avoir plus d’innocence et de pureté que celle qui lui a donné le jour ; et, longtemps avant que l’ambition se
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