Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
aimables soins de la petite-fille de Mrs Lechmere n’étaient cependant pas aussi nécessaires qu’on aurait pu le croire d’abord à la vieille dame, qui repoussa doucement les sels, quoiqu’elle ne refusât pas le verre d’eau que Lionel lui offrait pour la seconde fois.
– Je crains que vous ne me preniez pour une vieille bien infirme et bien maussade, dit Mrs Lechmere dès qu’elle se trouva un peu mieux ; mais je crois que c’est ce thé dont on a tant parlé ce soir et dont je bois beaucoup, par excès de loyauté {23} , qui m’attaque les nerfs ; il faudra vraiment que je m’en prive comme mes filles, mais par un autre motif. Nous sommes habituées à nous retirer de bonne heure, major Lincoln ; mais vous êtes ici chez vous, et vous pouvez agir en toute liberté. Je réclame un peu d’indulgence pour mes soixante-dix ans, et je souhaite qu’une bonne nuit vous fasse oublier les fatigues du voyage. Caton aura soin qu’il ne vous manque rien.
Appuyée sur ses deux pupilles, la vieille dame se retira, laissant à Lionel l’entière jouissance du petit salon. Comme l’heure était assez avancée, et qu’il n’espérait pas voir revenir ses jeunes parentes, il demanda une lumière, et se fit conduire à l’appartement qui lui était destiné. Aussitôt que Meriton lui eut rendu les services qui, à cette époque, faisaient qu’un valet de chambre était indispensable à un gentilhomme, il le renvoya, et jouit du plaisir de s’étendre dans un bon lit.
Cependant tous les incidents de la journée le jetèrent dans une foule de pensées, qui pendant longtemps l’empêchèrent de trouver le repos qu’il cherchait. Après avoir fait de longues et tristes réflexions sur certains événements qui touchaient de trop près aux sentiments de son cœur, pour ne lui offrir qu’un souvenir passager, le jeune homme pensa à l’accueil qu’il avait reçu, et aux trois femmes qu’il venait de voir, pour ainsi dire, pour la première fois.
Il était évident quel Mrs Lechmere et sa petite-fille jouaient chacune leur rôle ; était-ce de concert ou non ? c’est ce qui restait à découvrir. Mais pour Agnès Danforth, Lionel, malgré toute sa subtilité, ne put découvrir en elle que des manières simples, franches, et même quelquefois un peu brusques, qu’elle devait à la nature et à l’éducation. Comme presque tous les jeunes gens qui viennent de faire connaissance avec deux femmes d’une beauté remarquable, il s’endormit en pensant à elles, et on ne sera pas étonné si nous ajoutons qu’avant le matin il avait rêvé qu’il se trouvait sur l’Avon de Bristol, qui l’avait conduit sur les bancs de Terre-Neuve, où il savourait un bol de punch préparé par les jolies mains de miss Danforth et auquel se mêlait le doux parfum du thé, tandis que Cécile Dynevor, debout derrière lui, avec toute la grâce d’une Hébé, le regardait en riant, et s’abandonnait à toute la gaieté folâtre de son âge.
CHAPITRE IV
Sur ma parole, voilà un homme bien nourri.
SHAKESPEARE . Le roi Henri IV.
Le soleil commençait à darder ses rayons sur le brouillard épais qui s’était répandu sur la surface de l’eau pendant la nuit, lorsque Lionel monta sur les hauteurs de Beacon-Hill pour jouir de la vue de son pays natal, au moment où il était éclairé par les premiers feux du jour. Les îles élevaient leurs têtes verdoyantes au-dessus du brouillard, et le vaste amphithéâtre de rochers qui entourait la baie était encore visible, quoique la vapeur se dessinât par intervalles le long des collines, tantôt cachant l’entrée d’une charmante vallée, tantôt serpentant en légers tourbillons autour d’un clocher élevé qui annonçait l’emplacement d’un village.
Quoique les habitants de la ville fussent éveillés et debout, cependant la solennité du jour et en même temps la situation des affaires contribuaient à entretenir un religieux silence, et l’on n’entendait ni ce bruit ni ce tumulte qui sont ordinaires dans les endroits très-peuplés. Les nuits froides d’avril, succédant à la chaleur du jour, avaient engendré un brouillard encore plus épais qu’à l’ordinaire, qui, s’élevant de la surface de l’eau et se glissant furtivement le long des terres pour s’unir aux vapeurs des rivières et des marais, dérobait, dans ses ondulations multipliées, la vue d’une grande partie de l’horizon.
Lionel, debout sur le bord de la plate-forme qui
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