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Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)

Titel: Lionel Lincoln (Le Siège de Boston) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Fenimore Cooper
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couronnait la colline, jouissait de ce délicieux spectacle. Les maisons et les rochers, les tours et les vaisseaux, les lieux que reconnaissaient ses souvenirs, ceux qu’il avait oubliés, s’offraient successivement à ses yeux à mesure que le brouillard s’entr’ouvrait pour les lui laisser apercevoir. Cette scène, à qui ce changement continuel donnait une nouvelle vie, où tout était animé, semblait à son imagination charmée une sorte de panorama magique qui se déployait sous ses yeux pour son seul plaisir, et il se livrait aux plus douces illusions, lorsqu’il fut tiré de sa rêverie par le son d’une voix qui se fit entendre à peu de distance.
    C’était un homme qui chantait sur un méchant air anglais quelques fragments d’une chanson, et, à la fin de chaque vers, il faisait une cadence nasale de l’effet le plus désagréable. Comme il s’interrompait à chaque instant, Lionel finit par saisir quelques paroles qui, répétées par intervalles, semblaient évidemment servir de refrain au reste de la chanson. Le lecteur pourra juger du genre et du style de ces couplets par ce refrain, qui peut servir d’échantillon pour toute la pièce :
    Celui qui veut la liberté
    Se met en campagne.
    L’esclave entêté
    Reste, et qu’est-ce qu’il y gagne ?
    Il boit son poison de thé.
    Lionel, après avoir écouté ce couplet expressif, suivit la direction de la voix jusqu’à ce qu’il eût rencontré Job Pray, qui était assis sur l’une des marches en bois qui conduisaient à la plateforme ; Job s’amusait à casser quelques noisettes sur le bord d’une planche, tandis qu’il consacrait les intervalles que sa bouche ne pouvait pas employer plus utilement à chanter les beaux vers que nous venons de citer.
    – Comment donc, maître Pray, s’écria Lionel en l’apercevant, venez-vous chanter ici vos oraisons à la déesse de la liberté un dimanche matin, ou bien êtes-vous l’alouette {24} de la ville, et, faute d’ailes, êtes-vous venu sur cette éminence pour faire entendre de plus haut vos mélodieux accents ?
    – Il n’y a pas de mal à chanter des airs de psaumes ou des chansons du continent, quelque jour que ce soit de la semaine, dit Job sans lever les yeux ni sans interrompre son travail ; Job ne sait pas ce que c’est que votre alouette ; mais si elle est de la ville, il faut bien qu’elle vienne sur les hauteurs, puisque les soldats occupent toute la plaine.
    – Et quelle objection pouvez-vous faire à ce que les soldats occupent un coin de la plaine ?
    – Ils affament les vaches, et alors elles ne donnent pas de lait ; l’herbe est nécessaire à ces pauvres bêtes quand vient le printemps.
    – Mais, mon pauvre Job, les soldats ne mangent point le gazon, et vos amies herbivores de toutes les couleurs peuvent savourer la première offrande du printemps comme à l’ordinaire.
    – Les vaches de Boston n’aiment pas l’herbe qui a été foulée aux pieds par les soldats anglais, dit Job d’un air sombre.
    – En vérité ! c’est porter l’amour de la liberté jusqu’au raffinement, s’écria Lionel en éclatant de rire.
    Job secoua la tête d’un air menaçant, et lui dit :
    – Prenez garde que Ralph vous entende rien dire contre la liberté.
    – Ralph ! Et qu’est-ce que Ralph, mon garçon ? est-ce votre génie ? Où le tenez-vous donc caché pour qu’il puisse entendre ce que je dis ?
    – Il est là, dans le brouillard, dit Job en lui montrant du doigt le pied du fanal qu’entouraient des vapeurs épaisses, attirées sans doute par le grand poteau qui le supportait.
    Lionel regarda quelques moments la colonne environnée de fumée sans rien distinguer ; enfin il aperçut, au milieu des ondulations vaporeuses, le vieillard qui avait été son compagnon de voyage ; il avait toujours les mêmes vêtements, et leur couleur grise était si bien en harmonie avec les brouillards, qu’elle donnait à son extérieur quelque chose d’aérien et de surnaturel. À mesure que les vapeurs dont il était entouré devenaient moins épaisses, Lionel put distinguer les regards rapides et inquiets qu’il lançait de tous côtés, et qui semblaient errer sur les objets les plus éloignés, comme si son œil perçait le voile qui était étendu devant la plus grande partie de la perspective.
    Tandis que Lionel restait immobile à la même place, examinant cet être bizarre avec cette sorte de respect involontaire qu’il avait réussi à lui

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