Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
prodiguer des secours, lorsque tout à coup la vie parut reprendre son empire sur le vieillard, comme le soleil dissipe en un instant l’obscurité en sortant de derrière un nuage.
– Vous êtes malade ! s’écria Lionel.
– Laissez-moi, dit le vieillard, laissez-moi.
– Je ne puis vous laisser seul et dans un tel moment.
– Je vous dis de me laisser ; nous nous rencontrerons, comme vous le désirez, dans l’intérieur du pays.
– Vous me conseillez donc d’accompagner les troupes et d’attendre votre arrivée ?
– Certainement.
– Pardonnez-moi, dit Lionel en baissant les yeux avec embarras et en parlant avec hésitation ; mais la demeure que vous avez choisie, l’état où je vous vois, les vêtements qui vous couvrent, tout me prouve que l’hiver est arrivé pour vous, sans que l’été vous ait donné les moyens d’adoucir ses rigueurs.
– Voudriez-vous m’offrir de l’argent ?
– Si vous daigniez l’accepter, c’est moi qui vous devrais de la reconnaissance.
– Lorsque mes besoins excéderont mes moyens, jeune homme, je me rappellerai votre offre. Allez, maintenant, il n’y a pas de temps à perdre.
– Mais je ne voudrais pas vous laisser seul. Où est Abigaïl ? cette vieille folle serait toujours mieux que rien.
– Elle est absente.
– Et Job ? Le pauvre idiot a des sentiments d’humanité, et il pourrait vous secourir au besoin.
– Il est occupé à quelque chose de mieux qu’à soutenir les pas d’un vieillard inutile. Partez à l’instant et laissez-moi, je vous en prie, Monsieur, et, s’il le faut, je vous l’ordonne.
La manière ferme et presque impérieuse dont le vieillard parlait apprit à Lionel qu’il n’y avait rien à gagner sur lui ; il obéit donc avec répugnance, et il retourna plus d’une fois la tête en se retirant. Dès qu’il fut au bas de l’échelle, il se hâta de reprendre le chemin de son logement. En traversant le petit pont jeté sur le bassin étroit dont nous avons déjà parlé, ses réflexions furent interrompues par le son de plusieurs voix qui s’entretenaient tout bas et avec mystère à peu de distance. C’était un moment où tout ce qui n’était pas ordinaire devait éveiller l’attention, et Lionel s’arrêta pour examiner deux hommes qui près de là tenaient leur secret conciliabule. À peine avait-il en le temps de les remarquer que les deux individus se séparèrent ; l’un, traversant la place, entra sous une des arcades de la place du marché, et l’autre monta sur le pont où se trouvait Lionel.
– Quoi ! Job, c’est vous que je surprends ici à chuchoter et à comploter ! s’écria Lionel ; quels secrets pouvez-vous avoir qui demandent la faveur de la nuit ?
– Job demeure ici dans le vieux magasin, répondit-il vivement ; Nab n’y manque pas de place, puisque le roi ne veut plus qu’on y apporte de marchandises.
– Mais vous vous apprêtiez à descendre dans l’eau, et le chemin qui conduit à votre lit ne peut être à travers le bassin.
– Nab a besoin de poisson pour se nourrir, aussi bien que d’un toit pour la garantir de la pluie, dit Job en sautant légèrement du pont dans une petite barque qui était attachée à un des poteaux ; et, puisque le roi a fermé le port de Boston, il faut bien que le poisson y vienne quand il fait noir ; mais il y viendra, et tous les actes du parlement ne sauraient l’en empêcher.
– Pauvre garçon ! s’écria Lionel, retournez chez vous et mettez-vous au lit ; voilà de l’argent pour acheter ce qui peut manquer à votre mère, si elle est souffrante : vous vous ferez envoyer quelque balle par une des sentinelles en courant ainsi le soir dans le port.
– Job peut voir un vaisseau de plus loin qu’un vaisseau ne peut apercevoir Job, reprit celui-ci, et, s’ils tirent sur Job, qu’ils ne croient pas tuer un enfant de Boston sans que cela fasse du remue-ménage.
Leur conversation finit là ; la petite barque glissa légèrement le long du bassin pour entrer dans le port, sans que le moindre bruit trahît l’exercice des rames, auquel il était évident que l’idiot s’était exercé depuis longtemps. Lionel reprit sa route, et il allait quitter la place du marché, lorsqu’il se trouva face à face et sous un réverbère, avec l’homme qu’il avait vu quelques minutes auparavant s’enfoncer sous les arcades. Le désir mutuel de s’assurer si leurs yeux ne les avaient pas trompés les engagea
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