Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
il ne songea pas à fuir, et levant les yeux, il vit le vieux Ralph, courant avec agilité le long de la lisière du bois, abaissant les fusils d’une vingtaine d’Américains, et répétant ses cris d’une voix qui ne semblait pas appartenir à un être humain. Au même instant, et dans la confusion de ses idées, il se crût prisonnier, car un jeune homme, qui s’était glissé hors du bois, saisit la bride de son cheval, et lui dit :
– C’est un jour de sang, major Lincoln, et Dieu ne l’oubliera pas. Mais si vous voulez descendre la colline en droite ligne, vous ne risquez rien, parce qu’on ne tirera pas sur vous de peur de blesser Job ; et quand Job tirera, ce sera sur ce grenadier qui monte par-dessus la muraille, et personne n’en entendra jamais parler dans Funnel-Hall.
Lionel partit plus vite que la pensée, et fit prendre le grand galop à son cheval : tout en descendant la hauteur, il entendit les cris que les Américains poussaient derrière lui, le bruit du coup de mousquet que tira Job, et le sifflement de la balle qui prenait la direction qu’il avait annoncée. Lorsqu’il fut arrivé dans un endroit où il était moins en danger, il vit Pitcairn qui descendait de cheval, car les attaques personnelles des colons faisaient qu’il était imprudent à un officier de se montrer ainsi, de manière à pouvoir servir de point de mire. Lionel attachait beaucoup de prix à son coursier, mais il avait eu de si bonnes preuves du danger que sa situation élevée lui faisait courir, qu’il se vit obligé de suivre cet exemple, quoique à son grand regret, et d’abandonner ce noble animal à son sort. Il se joignit, ensuite à une autre troupe de combattants, et continua à les animer à de nouveaux efforts pendant tout le reste du chemin.
Du moment que les clochers de Boston se montrèrent aux yeux des soldats, la lutte devint plus animée. Cette vue sembla rendre de nouvelles, forces à leurs corps exténués de fatigue, et, reprenant un air martial, ils soutinrent toutes les attaques avec une nouvelle intrépidité. De leur côté, les Américains semblaient sentir que les instants accordés à la vengeance s’écoulaient rapidement, et les jeunes gens, les vieillards, même les blessés, se pressaient autour de leurs agresseurs comme pour leur porter un dernier coup. On vit même les paisibles ministres de Dieu se mettre en campagne en cette occasion mémorable, se joindre à leurs paroissiens, et partager leurs dangers dans une cause qu’ils regardaient comme d’accord avec les devoirs de leur saint ministère.
Le soleil allait quitter l’horizon, et la situation du corps d’armée devenait presque désespérée, quand Percy renonça au projet qu’il avait conçu de regagner le Neck, qu’il avait traversé si fièrement le matin en sortant de Boston, et il fit les derniers efforts pour ramener les restes de ses troupes dans la péninsule de Charlestown. Le sommet et la rampe de chaque hauteur étaient couverts d’Américains armés, et, l’ombre de la nuit arrivant, l’espoir d’anéantir entièrement ce corps d’armée fit battre leur cœur, quand ils virent que l’excès de la fatigue forçait les soldats anglais à ralentir leur feu. Cependant la discipline l’emporta, sauva les débris des deux détachements réunis, et leur permit d’atteindre l’étroit passage qui pouvait seul les mettre en sûreté, à l’instant où les ténèbres allaient déterminer leur perte.
Lionel s’appuya contre une haie, et regarda défiler lentement et pesamment devant lui ces hommes qui, quelques heures auparavant, se seraient crus en état d’imprimer la terreur à toutes les colonies {40} , et qui maintenant traînaient péniblement leurs membres fatigués en gravissant Bunker-Hill. Les yeux hautains de la plupart des officiers étaient baissés avec un air de honte, et les soldats, quoique alors en lieu de sûreté, jetaient encore des regards inquiets en arrière, comme s’ils eussent craint que ces colons, qu’ils avaient si longtemps méprisés, ne continuassent à les poursuivre.
Un peloton succédait à un autre, chacun de ceux qui les composaient paraissant également fatigué. Enfin Lionel vit, à quelque distance, un cavalier qui s’avançait au milieu des rangs de l’infanterie, et quand il le vit de plus près, ce fut avec autant de plaisir que de surprise qu’il reconnut Polwarth, monté sur le coursier qu’il avait lui-même abandonné. Le capitaine
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