Liquidez Paris !
yeux pour ne pas voir le masque de momie mais elle ne sait pas encore que malgré les prothèses, Gunther danse merveilleusement. « Veste Rouge » verse à boire, tout le monde fraternise ; Petit-Frère remonte ses longs pantalons de camouflage, rit et chatouille les filles.
– Vive la France ! crie Porta délirant.
Gunther est ivre, la fille rit dans ses bras.
Au loin, des coups de feu. Rien de neuf, c’est ça la guerre. Et encore une fois la porte s’ouvre, mais ce n’est plus la feldgendarmerie : c’est Jacqueline, la jeune femme que j’avais rencontrée en Normandie dans le jardin fleuri, celle qui m’avait donné du café. Depuis que nous étions à Paris, j’allais la voir secrètement tous les jours, mais c’est la première fois que je lui donnais rendez-vous ici, et je le regrette tout de suite. Porta l’a reconnue immédiatement. Sans se douter de rien, elle vient vers nous dans sa robe de mousseline verte qui la rend plus pâle que de coutume.
– Tiens, tu as retrouvé ta poule de Normandie ? remarqua sèchement Porta. Liquide-la, elle est amoureuse et les filles amoureuses, c’est dangereux.
– Ça te regarde ?
– Si la fille cause, ça nous regarde tous, intervient Heide qui me saisit au col, ses yeux méchants plissés de fureur. Toi et ta poule française, allez vous pieuter où vous voudrez mais pas ici. – Il me repousse et tripote la crosse de son revolver. – Porta a raison, elle est dangereuse. Je te préviens, si jamais je la revois, je ne donne pas cher de vous deux !
– Que se passe-t-il ? intervint Gunther.
Heide lui chuchota quelque chose et je vis
Gunther détailler Jacqueline dans toute sa beauté verte. Mes camarades me regardaient avec méfiance ; le légionnaire, d’un air sombre, se curait les dents avec son couteau maure.
– Mais qu’y a-t-il donc ? me dit Jacqueline. Tu es bizarre aujourd’hui.
Je m’excusai en lui expliquant l’erreur que j’avais commise. Paris est dangereux. Au moindre soupçon, on est mort et les espions fourmillent. Nous prenons un nouveau rendez-vous mais il ne faut plus qu’elle se montre ici. Jacqueline me comprend très bien et disparaît furtivement dans la rue sans lumière.
Lentement le bistrot se vide, enfin nous voilà seuls ! On étale sur la table un grand pian de la ville.
– Evidemment c’est pas ici, constate-Porta, et il est lourd ! Comment passer le pont ? Tous les ponts sont surveillés par ces chiens, et si nous faisons tout le tour, la guerre risque d’être finie avant l’arrivée ici.
– Et si on le transportait en plein jour ? suggère « Veste Rouge » pensif. On arrive mieux à se cacher dans la foule, et personne n’y penserait. Les Boches, c’est toujours en train de traîner quelque chose.
– Nous ne sommes pas ici en permission, rétorqua Barcelona. Si fout le groupe demande une permission de sortie, ils vont se méfier et Hoffmann est un salaud à cent pour cent, con comme une huître, mais pas encore assez malheureusement. La perm de la nuit, ça je m’en arrange, mais quitter la caserne à l’heure du service, c’est impossible. Vous parlez d’un raffut ! Hier est arrivé tout un bataillon de pionniers S. S., et aujourd’hui un des commandos les plus terribles de ces chiens.
Porta promène un doigt crasseux sur le plan :
– On ira le chercher ce soir. Trop prévoir, c’est le défaut des Prussiens et ça ne vaut rien. Huit jours après la fin de la dernière guerre, on s’est occupé de la suivante, vous voyez ce que ça donne ! Dès que notre ami aura son compte, on l’embarque et vivement ! J’ai fauché deux vrais tampons de la Gestapo, des tampons en rouge qui marquent « Ultra Secret. » Ça en bouche un coin à tout chien trop curieux.
– Et si on met à tirer ? demande le Vieux avec inquiétude. Si on rencontre une patrouille de S. D. ? Ça bardera je vous le promets, ces types-là ne se laissent pas impressionner. Ce sera eux ou nous, et si un seul d’entre eux s’échappe, alors on aura les voitures blindées sur nos talons.
– Y a qu’à emporter quelques tuyaux de poêle, suggère Petit-Frère toujours belliqueux.
– Ah ça c’est malin ! gronde le Vieux. Tu te vois dans Paris tirant au tuyau de poêle ? On croira que ce sont les résistants communistes.
Le légionnaire haussa les épaules.
– Ça suffit camarades, on verra ce qui se passe au fur et à mesure. En attendant, on fait le coup demain soir.
Le
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