Liquidez Paris !
Sécurité).
– Racontez ce que vous voudrez, grommela Heide sans cacher son inquiétude, moi ça ne me plaît pas du tout. Un type disparaît quatorze heures avant son exécution, l’affaire était close, alors pourquoi devait-il retourner à l’interrogatoire ? Va y avoir sûrement du vilain.
– Qu’en as-tu fait ? s’esclaffa Porta en s’adressant à la Veste Rouge. »
– Dans la cuisine, fit le cabaretier avec un signe du pouce par-dessus son épaule.
– Ici ! rugit Heide. Eh bien c’est complet ! S’ils le trouvent pendant que nous sommes là, je le tue. Tu penses si on saura le faire parler ! Peut-être que la potence vous dit quelque chose mais pas moi, et je ne vais pas risquer ma carrière pour un petit Juif !
– Ta gueule ! cria Petit-Frère en agitant son gros poing.
– Jean ! appela « Veste Rouge » de la porte de la cuisine. – Le garçon apparut dans l’encadrement de la porte. – Assieds-toi là.
Nous nous serrâmes sur le banc étroit : des lunettes, une toque de marmiton, une moustache hirsute rendaient notre ex-prisonnier risible. Un air d’innocent de village accentué par des pantalons trop courts. Heide se repoussa en grommelant : – Je vous dis que ça ira mal !
– Où diable sont partis les autres ? demandait Porta en regardant la pendule. Et pourquoi sont-ils allés chez une fille ?
– Calme-toi, dit Barcelona. Le légionnaire connaît Paris, et Gunther les accompagne. Rien que son visage est un « Ausweis » (laissez-passer) Personne n’oserait s’en prendre à Gunther.
« Veste Rouge » se leva car les clients réclamaient ses chansons. Porta décrocha de mur un violon et sauta sur une table ; il caressait l’instrument, lui parlait. Le silence devint général, tout le monde regardait ce soldat rouquin dont la bouche rigolarde ne contenait qu’une dent.
A Paris quand le jour se lève A Paris dans chaque faubourg A vingt ans on fait des rêves, Tout est couleur d’amour.
« Veste Rouge » chantait. Une valse suivit puis un tango. Mille voix naissaient dans l’ancien violon, un peu de joie entre deux Pernod frais. On oubliait la guerre, la haine aussi, tout s’oubliait pour ceux qui écoutaient Porta. Jusqu’à Janette, l’énorme cuisinière noire qui criait toujours, laquelle s’était arrêtée son plat à la main. Nous savons qu’elle est en liaison avec plusieurs réseaux de Résistance et qu’on a déjà essayé de la liquider, mais « Saucisson Noir » s’en est toujours tirée. Porta chante, le violon pleure et gémit ; une fille l’accompagne avec un accordéon, ce piano du pauvre, et ils se comprennent, la fille de Montmartre en vêtements minables et ce soldat anonyme en uniforme fané.
– Le cochon ! grommelle « Saucisson Noir », qu’est-ce qu’il est venu faire ici ? Si on se met à trouver les Boches sympathiques maintenant !
Mais d’un coup de pied la porte s’ouvre. Les plaques de la feldgendarmerie reluisent, les cuirs étincellent ; on voit des visages anguleux, impitoyables, des yeux d’un froid glacial, des mitraillettes qui rivalisent d’éclairs avec les casques d’acier.
En un clin d’œil toute l’atmosphère change.. « Saucisson Noir » disparaît dans sa cuisine telle une avalanche de graisse molle, et aidée fébrilement par Jean se met à tripoter ses casseroles.
Le chef de la patrouille, un Stabsfeldwebel, la mort en personne camouflée de muscles, nous fixa brutalement, serra ses lèvres minces et tendit son index vers Porta.
– Permission ? Au garde-à-vous Obergefreiter, vous ne savez peut-être pas reconnaître les grades de l’armée allemande ? – Il dépassait Porta d’une tête et était trois fois gros comme lui. On le vit tourner et retourner la permission de nuit qu’exhibait le rouquin. – Avec qui êtes-vous, Obergefreiter ?
Porta nous désigna, raides et attentifs dans notre coin. Sans mot dire, nous tendîmes nos papiers. Les insolites couvre-chefs de Porta et de Petit-Frère s’étaient volatilisés. Un seul geste incorrect, et nous sommes bons. Ce sont des chiens que nous connaissons bien de réputation : Stabsfeldwebel Malowski et son commando de chasse 809. Depuis quatre ans, ils fouillent les bistrots, les bordels, les bars de Paris, et pas une seule nuit ils ne sont rentrés sans une proie comme en témoigne la croix de chevalier K. V. K, qui pend au cou de leur chef. Ce sont trois gendarmes français qui contrôlent les
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