Liquidez Paris !
de fureur m’envahit. Non ! Je ne veux pas mourir dans un pré bourbeux de France. Sus à l’Anglais ! Je le roue de coups de crosse et lui m’assomme de coups de pieds désespérés. Je le frappe de ma pelle, son casque chavire, un filet de sang coule de sa bouche, à la place du front une plaie béante.
Je tombe épuisé. Il râle. Ma rage s’est transformée en terreur… pourquoi ne meurt-il pas ? Ma jambe saigne, et tout en surveillant le moribond, je panse la blessure comme je peux. A-t-il encore la force de me descendre ? Il me regarde et respire d’une respiration oppressée. Si ses camarades me trouvent ici, je suis perdu ; pourtant nous nous sommes battus, tout est en ordre. Du sang et de l’écume souillent sa bouche ; je lui jette ma gourde.
– Drink, it is for you.
Pourquoi ne boit-il pas ? Attend-il que je la lui mette entre les-dents pour risquer un coup de couteau ? Il bouge… Je sors de mon trou sans penser aux grenades et me précipite derrière la mitrailleuse, mais l’Anglais ne fait pas un mouvement. Sous un Churchill qui brûle, le petit légionnaire, couché, tire avec son L. M. G. de courtes salves mortelles, tandis qu’appuyé à l’angle d’un Cromwell en flammes, Petit-Frère ressemble à Satan en personne grotesquement illuminé par l’acier brûlant.
L’attaque ennemie est brisée – pour l’instant, et le soleil chauffe doucement. Porta dévore bruyamment sa cinquième boîte de corned-beef, Barcelona fait circuler une bouteille de gin, le Vieux bat les cartes, et derrière nous, Formigny brûle. Les lourds bombardiers Wellington rugissent au-dessus de Caen et les fumées des incendies montent très haut dans le ciel. La terre tremble sous nos pieds.
Dans une jeep abandonnée, Porta a trouvé un vieux phono de voyage et des disques. C’est une musique endiablée qui résonne lorsque tard dans la soirée surgit un groupe de soldats qui semblent désarmés. Ils brandissent un drapeau à croix rouge et leurs casques s’ornent des mêmes croix rouges. Le Vieux se précipite sur Petit-Frère déjà prêt à tirer.
– Tu ne vois pas qu’ils ramassent leurs blessés et qu’ils laissent les nôtres ! crie le géant furieux.
– Le premier qui tire, je le descends.
Compris ? Laissez vos armes, gronde le Vieux.
– Va te caser dans l’Armée du Salut, ricane Porta en crachant vers le Vieux. Tu y deviendras général !
Déjà presque tous les brancardiers ont disparu avec leur drapeau et leurs blessés, mais tout à coup, un lieutenant de grenadiers pousse un cri et tombe dans la boue de la tranchée. C’est une balle de maquisard (ces tueurs haïs des combattants) qui l’a atteint entre les deux yeux. En un clin d’œil, trois mitrailleuses aboient. Les derniers brancardiers s’effondrent.
– Ils ont commencé ! s’écrie Petit-Frère fou de rage. On aurait dû les tuer tout de suite.
Long et sauvage cri de guerre : – Allah el Akbar ! En avant ! En avant !
Et le légionnaire s’élance avec nous à sa suite, comme si souvent dans les steppes gelées de la Russie ou sur les pentes de Monte Cassino. Pleins de haine on tue, on tue ! Les brancardiers, les blessés qu’ils viennent de sauver, tout est tué, tout est déchiqueté. L’ennemi n’a pas d’abris. Ce ne sont que des positions de fortune. Tout est détruit. Mais à l’attaque succède la contre-attaque. Encore des morts, partout des morts.
A la section 91, jamais de quartier envers l’ennemi.
Porta tripotait la radio en essayant de capter la B. B. C. de Londres et le brouillage crépitait.
– Tu te rends compte qu’il y va de ta tête si tu es pincé, dit Heide. Comprends d’ailleurs absolument pas pourquoi vous écoutez ces salades. Les Anglais mentent autant que ceux d’Adolf.
Coups de gong sourds et menaçants destinés à répandre la terreur : « Ici Londres, ici Londres. B. B. C. pour la France… »
Nous ignorons que la résistance française écoute de toutes ses oreilles, de même que l’officier radio de garde, l’Oberleutnant Meyer, au P. C. de la XV e armée.
« Nous demandons toute votre attention. Voici des messages personnels : « Les sanglots longs des violons de l’automne… » C’est le premier vers de La Chanson d’automne de Verlaine, le message que Von attend depuis des semaines. On prévient en hâte le Gouverneur militaire en France, les commandants en chef de Hollande et de Belgique. En vain ! Peut-on prendre au sérieux
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