Liquidez Paris !
jeune fille qui se mit à saigner. Mais soudain, un mur. vivant l’entoure, un mur en uniformes gris du front. Il fixe les visages durs des soldats silencieux, frappe de sa badine ses bottes reluisantes, et s’adresse à un Stabsfeldwebel sur le visage duquel la haine était visible.
– Vous désirez quelque chose, Stabsfeldwebel ?
Un silence menaçant plane sur la place du Marché.
– Rien, Hauptsturmführer.
– En effet, je ne voyais guère…
Les officiers S. S. ricanent, repoussent les gêneurs, continuent leur lente promenade et paient ce qui leur plaît à coups de fouet. Varsovie 1939. Et maintenant Paris 1944.
Le rougeaud nous fixe :
– La Gestapo est ici pour vous aider contre les requins du marché noir ! – Il vide la carafe, rote, remonte son étui à revolver sous le manteau de cuir. – Dix sacs de café ont disparu, crie-t-il ; ce café est vendu au marché noir par la juiverie internationale ; la Gestapo le sait. Rien ne peut être caché à la Gestapo. Où est ce café ?
La 2e section se sent particulièrement visée. Tout le monde nous regarde. Le Vieux déchiquette son carnet, Heide écrase une cigarette d’une main humide, Gunther fixe le plafond, Barcelona tripote un bouton de son uniforme, Petit-Frère s’intéresse vivement à l’une de ses bottes, et Gregor tapote ses dents. Seul Porta rigole d’un air impertinent et regarde le rougeaud en un duel silencieux.
– Comme vous voudrez ! crie l’homme en détournant les yeux. Passons au second point ; il y a trois jours, un camion plein de couvertures a été volé alors qu’il était en stationnement dans la cour de la 2 e compagnie. Où sont ces couvertures ? J’attends.
Tout le monde attend. Un quart d’heure s’écoule. Silence de mort.
– Salauds ! hurle le policier. Mais attention ! Vous n’êtes plus dans l’indiscipline du front ici ! On ne se fiche pas de la Gestapo ! Réfléchissez bien tas de crétins ! Vous croyez peut-être que la Gestapo a la moindre considération pour deux malheureuses compagnies ? Vous allez voir ce que nous ferons de vous !
Derrière lui, hochements de tête approbateurs. Le rougeaud écume, crachouille, tape sur la table, agite son revolver, soudain Porta se lève.
– Herr Kriminalrat. – D’un coup, Porta lui fait franchir sept grades. – Vous avez dit que la Gestapo veut nous aider ? – Grondement incompréhensible. – Humblement je signale, reprend le rouquin avec son sourire le plus berlinois, que j’ai une plainte à formuler. Nous sommes très mal traités.
Toute la cantine est là qui écoute. Porta sort de sa botte un volumineux document. Les plus proches peuvent voir que c’est le règlement de l’Intendance.
– Depuis quatre mois, nous n’avons pas touché notre ration de sucre : deux grammes un quart par homme. – Porta tapote son papier.
– Le fourrier !
Deux chapeaux mous gris s’en vont chercher le fourrier.
– Les hommes n’ont pas reçu leur ration de sucre, est-ce exact ?
Le fourrier hausse les épaules.
– Oui, dit-il avec une indifférence totale. Le régiment n’a pas reçu de sucre de l’Intendance depuis quatre mois.
Triomphe du rougeaud :
– Rompez ! La plainte est refusée. Le sucre n’est pas indispensable à la guerre et n’a rien à voir avec la victoire finale.
– Monsieur le Krimin alrat, reprend doucement Porta, l’Obergefreiter Porta désire présenter une nouvelle plainte.
Cette fois, la salle commence à s’agiter.
– Assez ! hurle le policier. – Porta s’asseoit. – Non ! Pas vous, les autres. Qu’est-ce qu’il y a encore ?
_ Je signale à Monsieur le Kriminalrat que je passe sur le sucre, mais le pain est-il important pour la guerre ?
– Oui, dit l’homme en s’essuyant le front, le pain est important.
– Alors, dit Porta qui feuillette son petit livre, nous sommes volés. En neuf mois, la 5 e compagnie a été volée de sept cent douze kilos et dix-sept grammes cinquante-cinq de pain de guerre. Ce fait a été contrôlé quatre fois sur une balance décimale.
– Décimale ! murmure le rougeaud nerveux. Une balance est une balance.
– On nous vole beaucoup de pain, continua Porta. Bien des vilaines choses se passent en cette cinquième année de guerre et il faut que les honnêtes gens ouvrent l’œil.
Le rougeaud jeta un regard de braise vers le fourrier qui haussa les épaules.
– Les chiffres de l’Obergefreiter sont justes.
Deux chapeaux
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