Liquidez Paris !
descendre.
– Jésus Marie ! gémit encore la vieille qui tombe à genoux devant les soldats.
– Je te préviens, reprend le légionnaire. Si tu dis un mot, demain soir tu es morte. Les hommes que voilà s’en chargeront, ils y sont bien décidés.
La femme pleure à fendre l’âme. Sa mère avait bien raison : Paris n’est pas un endroit pour les gens convenables, elle va retourner à la campagne.
– Suffit ! dit le légionnaire, et gare à ta langue. Tu es surveillée.
La vieille rentra terrifiée dans sa loge et les deux types en civil nous accompagnèrent un bout de chemin.
– Vous ne vous en sortirez jamais, dit le Français, surtout avec ces vélos de la police. Comment diable allez-vous passer la Seine ? Pas un pont qui ne soit surveillé.
Voilà en effet le petit pont Notre-Dame et deux policiers armés qui guettent de l’autre côté.
– Et maintenant ? murmure le Vieux.
Derrière nous gronde le moteur d’une voiture Kübel.
_ Faites disparaître ce satané cochon ! murmure Gunther.
D’un mouvement rapide, l’animal passe par-dessus la haie du square Saint-Julien-le-Pauvre. Un cri ! Le porc est tombé sur deux clochards qui s’enfuient en hurlant par une petit rue. C’est bien la première fois de leur vie qu’ils sont réveillés par une manne tombée du ciel, et ils courent raconter l’histoire dans un bouge que fréquentent des putains et d’autres clochards.
– Faudrait aviser la Gestapo, dit un type à mine patibulaire.
– T’as raison Maurice, appuie une vieille putain. Les Boches paient pour chaque service rendu et ils ne sont pas avares comme les Français.
Le type boutonne sur ses loques un manteau bleu qu’il a volé à un marin allemand mort, mais ce détail, il l’a oublié et ça va lui coûter la vie.
– Où vas-tu Maurice ? crie le patron.
Personne ne sait que ce patron est un déserteur des chasseurs alpins de 1917. Depuis vingt ans, il vit avec des faux papiers, et il ne tient nullement à voir le nez de quelque police que ce soit. D’un coup de poing, il tasse Maurice sur son banc, mais le type lui file entre les doigts et quitte le bouge en courant. A deux pas du métro Saint-Michel, une voiture Kübel attend. Deux jeunes gens en uniforme gris perle frappés d’écussons noirs sautent de la voiture.
– Où cours-tu si tard, l’ami ?
Le type s’arrête, regarde les ceinturons et lit sans comprendre la terrible devise : Meine Ehre heisst Treue . (Mon honneur s’appelle fidélité.) Il lève les yeux, voit d’autres yeux d’un bleu d’enfant, des calots sur l’oreille, des têtes de mort brodées sous un aigle arrogant. Une main gantée de noir se tend.
– Ausweiss ? (Laissez-passer).
Il n’a pas de papiers. Il les a vendus pour l’absinthe qui fait tout oublier. Des doigts habiles le fouillent. Un Unterscharführer de deux mètres de haut saute à son tour de la voitures. Les pattes d’épaules noires sur l’uniforme gris font penser aux Russes. C’est la mort en la personne d’un homme de vingt-huit ans.
L’Unterscharführer Schramm, depuis qu’il fut rossé par un communiste à l’âge de quatorze ans, collectionne les cadavres. Deux fois il a été dégradé pour une arrestation irrégulière, mais il s’en fout. Il sait que la guerre est perdue, seulement malheur à qui ose le dire ! L’homme était un des fanatiques de l’Obergruppenführer Heydrich. Depuis quelques jours il est arrivé de Pologne avec son commando pour faire ce qu’on attend de lui, et il veut retrouver ses galons de Hauptscharführer dont on voit encore la trace sur son uniforme. Il sait bien qu’ils reviendront car on a besoin de gars résolus comme lui.
Hugo Schramm n’était pas particulièrement méchant ; il ressemblait seulement à ces légionnaires romains qui, avec une totale indifférence, mirent en croix un partisan juif. Il repoussa ses deux camarades et sa main gantée de noir palpa le manteau bleu.
– Où as-tu trouvé ça, frère ?
– Chez un ami del’hôtel Meurice .
– Tiens ! dit Schramm en arrachant d’un geste rapide le col du grand manteau ; il déchira la doublure et découvrit une fiche de jute : « Marine-Zeugamt. Kiel. U-Boot
Kommando 3 ». – Détrousseur de cadavres. Emmenez !
C’est l’arrêt de. mort d’un minable dénonciateur noyé d’absinthe.
– Viens camarade.
Un des hommes du S. D. saisit le type par le bras. Il est rare de rencontrer un tueur méchant.
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