L'oeil de Dieu
consigner dans une cellule plus confortable, sous le donjon. C’était un soldat plutôt jovial et qui aimait parler, mais il ne disait rien mal à propos. Il semblait soulagé que la guerre s’achève, et si la mort du comte l’attristait, il espérait bien que le roi le gracierait.
— Pendant les six semaines qu’il a passées ici, Brandon a-t-il parlé de l’OEil de Dieu ? demanda Kathryn.
Gabele secoua la tête.
— De quoi s’agit-il ?
— D’un bijou qui appartenait à son maître, le comte de Warwick.
Gabele se redressa sur son siège.
— Non, non, il n’a rien dit de ce bijou. En revanche, il a parlé de Warwick, en particulier de sa mort.
— Répétez ce qu’il a dit, ordonna Colum.
— Eh bien, il a raconté la fin de la bataille de Barnet. Comment la ligne de front a cédé, puis la méprise lorsque Oxford est arrivé, et la fuite des hommes de Warwick dans les ténèbres. Brandon est retourné auprès des chevaux, et il a saisi la monture du comte, lui criant de le rejoindre. Mais l’armure de Warwick le ralentissait dans la boue du champ de bataille, et les soldats de York survenaient déjà. Warwick a dit à ses hommes de fuir, et il a ordonné à Brandon de partir. Brandon a obéi, fonçant dans l’obscurité, les cris et les hurlements triomphants des ennemis sonnant à ses oreilles. Il savait qu’ils avaient tué son maître et il avait honte de l’avoir abandonné. Mais qu’aurait-il pu faire ?
Colum hocha la tête. Il comprenait.
— Quoi d’autre ? demanda vivement Kathryn, mécontente des regards entendus qu’échangeaient l’Irlandais et Gabele.
Ce dernier remua, un peu mal à l’aise.
— Que voulez-vous dire, Maîtresse ?
Kathryn posa les mains à plat sur la table, et l’espace d’un instant son esprit vola vers Thomasina. La servante nettoyait-elle la table des soins, dans la maison d’Ottemelle Lane, en ce moment ? Demain matin, Kathryn attendait de nombreux patients. Elle se frotta les yeux, lasse soudain, et se promit de consigner par écrit tout ce qu’elle aurait appris durant cette réunion.
— Je veux dire, reprit-elle, que Brandon s’est enfui de Barnet aux petites heures du jour, le dimanche 14 avril, et qu’il n’a été pris que deux semaines plus tard. A-t-il parlé de ce qu’il avait fait pendant tout ce temps ?
Webster prit la parole.
— Bien sûr, oui. Il redoutait les pillards et les exactions qui ont généralement lieu après les batailles. Vous qui êtes soldat, vous savez bien ce qui se passe, Maître Murtagh. Certains vainqueurs prennent des prisonniers, d’autres trouvent plus facile de trancher la gorge des ennemis en déroute.
Kathryn interrompit froidement le gouverneur.
— Qu’a fait Brandon durant le temps qu’il était en fuite ?
— Il s’est caché dans la campagne, achetait de temps en temps de quoi se nourrir dans une ferme et tâchait d’échapper aux soldats du roi.
— Lui a-t-on demandé pourquoi il venait à Cantorbéry ?
Webster battit des paupières. Il regarda bien en face cette impressionnante jeune femme plutôt froide qui refusait de se laisser distraire des questions qu’elle posait. Puis le regard du gouverneur se porta sur Colum, qui hocha imperceptiblement la tête. Le mouvement n’échappa pas à Kathryn, qui insista :
— Pouvez-vous répondre à ma question ?
— Je le lui ai demandé, en effet, admit Webster, pesant ses mots. Pour parler net, Maîtresse Swinbrooke, Brandon a dit qu’il était fatigué, qu’il avait faim et froid. Il voulait gagner Cantorbéry pour chercher refuge au prieuré de Christchurch.
Colum allait poser une question mais Kathryn l’en retint en plaçant la main sur son bras.
— Sir William, demanda-t-elle, lorsqu’on a arrêté Brandon pour l’amener ici, vous saviez qu’il était un soldat fugitif, n’est-ce pas ?
Webster hocha la tête.
— Vous avez donc dû l’interroger longtemps. A-t-on consigné par écrit ces interrogatoires ?
— Bien sûr, nous l’avons fait, répondit aussitôt le clerc Fitz-Steven, qui semblait maintenant quelque peu impressionné par Kathryn, et paraissait désireux de la contenter. Dois-je aller chercher le dossier, Sir William ?
Webster lui donna son accord, et tout le monde attendit en silence que Fitz-Steven revienne, hors d’haleine, un parchemin dans une main et une chandelle dans l’autre. Il reprit place sur son tabouret et se mit à lire :
— « Robert Brandon.
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