L'oeil de Dieu
interrompit Webster. L’homme disait que les auberges et les tavernes de Cantorbéry étaient trop onéreuses, et Dieu sait que nous avons ici plus de place qu’il nous en faut.
Kathryn en convenait. Cantorbéry attirait comme un aimant les vendeurs de reliques, les charlatans et les faussaires en religion, bref, toute la vermine humaine qui s’engraissait de la superstition des gens. L’été, les hôtelleries étaient remplies de pèlerins. On comprenait donc que le gouverneur, comme les propriétaires de maisons privées, soit toujours prêt à troquer un lit contre un peu d’argent.
— Il faut que nous voyions ce Vertueux, décréta Kathryn. En vérité, nous devrons voir tous ceux qui ont parlé au prisonnier Brandon.
Le gouverneur en convint et la réunion prit fin. Colum et Kathryn regardèrent leurs hôtes quitter la table.
Presque tous grommelaient et leur jetaient de sombres regards, clairement vexés d’avoir été interrogés par une femme. Comme ils s’attroupaient près de la porte pour se concerter à voix basse, Colum dit à Kathryn :
— Vous êtes dure ! Vous les avez questionnés avec une telle insistance !
— Je n’ai pas de temps à perdre, rétorqua sèchement Kathryn. Pourquoi les gens ne répondent-ils pas quand on les interroge ?
Colum se pencha en avant pour la regarder dans les yeux.
— Quelle est votre idée ? demanda-t-il.
— Quelqu’un ment. Trois choses ne me paraissent pas normales. D’abord, la mort de Brandon. C’était un homme jeune et costaud, et il était dans une cellule confortable. Pourquoi a-t-il succombé à la fièvre des geôles, avec des symptômes aussi bizarres ?
En général, les patients atteints de fièvre ont des accès de délire.
— Ensuite ? la pressa Colum.
— Je trouve étrange que Brandon n’ait jamais mentionné l’OEil de Dieu. Enfin, l’évasion de Sparrow me paraît bien extraordinaire. On dirait qu’il s’est littéralement envolé par-dessus les murs du château.
Colum tapota le pommeau de sa dague.
— Les évasions de ce genre sont fréquentes, fit-il valoir. Des bourgeois fortunés ont même déposé une liste de plaintes à soumettre au prochain parlement, déplorant que les prisonniers puissent quitter leur prison avec une grande facilité. Quant à la fièvre des geôles…
Colum n’acheva pas sa phrase car Gabele s’approchait, et, ignorant Kathryn, lui saisit la main.
— Je suis content de vous retrouver, Irlandais, s’exclama-t-il, et heureux de voir que le sort vous comble !
Gabele se tourna alors pour sourire de toutes ses dents à Kathryn, puis il déclara :
— Désolé de vous avoir répondu avec brusquerie, Maîtresse Swinbrooke, mais comme cet Irlandais vous le confirmera, je suis davantage rompu à la vie de camp qu’à celle de la cour.
Étonnée, Kathryn accepta les excuses plutôt gentiment tournées.
— Je n’avais pas l’intention de faire preuve d’autant d’insistance, balbutia-t-elle.
Gabele lui tendit la main.
— N’en parlons plus. Venez, je vais vous montrer ce que vous désirez voir.
Il les conduisit au rez-de-chaussée du donjon. Là, il déverrouilla une porte cloutée de fer, et, prenant une torche de poix accrochée au mur, descendit avec eux jusqu’aux cachots. Il y en avait six : trois de chaque côté d’un couloir humide et chichement éclairé. Gabele ouvrit une cellule, assez vaste et bien aérée grâce à une grille placée haut dans le mur, qui laissait entrer un peu de lumière et l’air extérieur. La pièce, blanchie à la chaux, était meublée d’une table, d’un vieux tabouret et d’une paillasse. Au mur trônait un crucifix, et la paille à terre était étonnamment propre.
Gabele indiqua les crochets en métal pour fixer les bougies ainsi que la lampe à huile sur la table.
— C’était la geôle de Brandon, expliqua-t-il.
Il alla s’étendre sur la paillasse et, du bout de sa dague, gratta le mur et ébranla une brique.
— On peut faire la même chose de l’autre côté du mur, dans la cellule voisine, annonça-t-il.
— Qui a descellé les briques ? Sparrow ou Brandon ? demanda Colum.
Gabele secoua la tête.
— Ni l’un ni l’autre. Probablement un prisonnier d’autrefois, oublié depuis longtemps.
Il remit la brique en place et se redressa, ajoutant avec un sourire :
— Nous devrions faire venir un maçon pour réparer le mur, mais le gouverneur est un brave homme. Peu de prisonniers
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