L'oeil de Dieu
plus aigre que du vinaigre. Il avait des yeux globuleux et une bouche molle, et ses cheveux noirs et gras le rendaient encore plus déplaisant.
Les présentations furent rondement menées. Kathryn nota le regard méprisant du prêtre et du clerc à son endroit, mais elle le soutint, habituée qu’elle était à ce genre d’affront silencieux.
Comme Colum se livrait à quelques politesses préliminaires, Fitz-Steven le coupa brutalement :
— Quelle raison justifie la présence du docteur parmi nous ?
— Maître clerc, je suis ici à la demande de Sa Majesté le roi, répondit Kathryn.
Elle ignora le regard de mise en garde de Colum.
— Il est très préoccupé par la mort d’un prisonnier, l’écuyer Brandon. À quand remonte cette mort ? poursuivit-elle sans se démonter.
Les petits yeux chafouins de Webster parurent plus préoccupés encore et il humecta ses lèvres épaisses. Il redoutait clairement que le roi ne voie en lui le responsable de la disparition de Brandon.
— Quand est-il mort ? demanda à son tour Colum.
— Il y a un mois, la veille de la Saint-Jean, bredouilla le gouverneur. Mais nous n’y sommes pour rien. Le prisonnier était correctement logé et bien nourri. Il a succombé à la fièvre.
— Qui le soignait ? voulut savoir Kathryn.
Le chapelain prit la parole, regardant Kathryn avec un mince sourire.
— Moi. Il avait la fièvre, et nous ne pouvions pas grand-chose pour lui. Il est mort peu avant le crépuscule, la veille de la Saint-Jean. Nous l’avons mis en bière et enterré dans le petit cimetière, derrière les communs du château.
— A-t-il parlé d’un pendentif ou d’un saphir qui a pour nom l’OEil de Dieu ? demanda Kathryn.
Ils secouèrent tous la tête, visiblement désorientés.
— Comment le prisonnier avait-il été pris ? s’enquit Colum.
— On l’a trouvé sur la route, au nord de Cantorbéry, répondit Fletcher de sa petite voix grinçante, et comme il tendait son cou décharné, sa pomme d’Adam tressautait tel un bouchon sur l’eau. C’est moi qui l’ai capturé. Nous avions appris la victoire du roi à Barnet. Ses envoyés nous avaient déjà remis des mandats pour arrêter Nicholas Faunte et les autres traîtres. Avec quelques hommes à cheval, je suis parti en reconnaissance sur la grand-route. Nous avons trouvé le cheval de Brandon dans un champ, et l’écuyer dormait à côté de lui, paisible comme un bébé.
Fletcher eut un hochement de tête entendu.
— Il était clair que c’était un rebelle. Son cheval semblait épuisé, lui-même portait encore un haubert en mailles, et il était couvert de crasse et de boue de la tête aux pieds.
— Quand était-ce ? demanda Kathryn.
Fletcher pianota sur la table.
— C’était un dimanche… oui, le dimanche 28 avril.
Deux semaines après Barnet. Kathryn examina ces hommes assemblés. Ils formaient un groupe disparate, et l’on sentait chez eux à la fois le mépris et la crainte.
Kathryn réfléchit. Elle savait maintenant que Brandon avait été capturé le 28 avril 1471, et six jours plus tard, les derniers lancastriens étaient battus à Tewkesbury. Après cela, le royaume avait été plongé dans le chaos. Le temps que les York comprennent qu’ils ne retrouveraient jamais l’OEil de Dieu et commencent à soupçonner Brandon, celui-ci était mort dans une geôle du château le 23 juin.
— A-t-on transféré Brandon directement au château ? demanda Colum.
— Oui, répondit Webster. Je l’ai interrogé moi-même dans cette salle. Il n’a pas cherché à me leurrer sur son identité. Il était plutôt fier d’avoir été l’écuyer personnel de Richard Neville, le feu comte de Warwick. Je l’ai donc enfermé dans un cachot et j’ai écrit au chancelier à Londres. Cependant, la guerre civile se poursuivait, la reine Marguerite avait débarqué dans l’ouest du pays, puis il y eut la bataille sanglante de Tewkesbury et la confusion générale. La réponse de la chancellerie ne m’est parvenue qu’il y a deux semaines environ. Richard, duc de Gloucester, a envoyé un de ses écuyers pour interroger Brandon, mais ce dernier était déjà mort.
— Comment se comportait Brandon ? interrogea Kathryn.
Gabele prit la parole d’une voix bourrue, ignorant Kathryn pour s’adresser à son ancien camarade Murtagh.
— J’étais son geôlier. Nous l’avons sorti de la fosse, c’est-à-dire les cachots souterrains inférieurs – pour le
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