L'Ombre du Prince
Grand Prêtre l’avait
voulu ainsi et ce n’était pas Hatchepsout qui l’en aurait dissuadé. Les yeux du
jeune couple royal et ceux de toute la cour se passeraient, cette fois-ci, du
spectacle des figures sacrées chorégraphiques qui, en temps ordinaire,
illuminaient les cérémonies du temple.
Les festins n’avaient pu regorger d’abondance
tant les aliments manquaient. Les banquets qui, en ces occasions, se
succédaient à un rythme si accéléré qu’on ne savait plus s’il s’agissait du
début ou de la fin d’un repas avaient fait piètre figure et les convives s’étaient
rattrapés en promenades de détente et en baignades sur les bords d’un fleuve
redevenu lui-même.
Satiah était restée morose. En ces jours de fêtes
prolongées, Thoutmosis lui échappait et, pour la première fois, elle prenait
conscience de ce qu’était le rôle d’une Seconde Épouse.
Même si l’amour que le jeune roi lui
prodiguait était infiniment plus fort que celui qu’il destinait à Mérytrê,
jamais elle ne serait à l’avant-scène d’un décor de prestige.
Et pourtant ! Que lui importait cet
étalage de brillants spectacles qui, dorénavant, seraient destinés à l’être
creux et insignifiant qu’était la Grande Épouse Royale. Car Mérytrê resterait
prostrée dans le luxe de ses appartements, commandant une armée d’hommes et de
femmes préoccupés de ces petits instants qui font la vie du quotidien.
Satiah voyait les choses bien différemment.
Elle voulait vivre au grand air, bouger, remuer, se déplacer là où allait
Thoutmosis, même s’il s’agissait d’expéditions lointaines, d’aventures, de
risques. Peu importait les aléas malencontreux, les dangers parfois
incontournables que ces expéditions engendraient.
Pour atteindre la position suprême qu’elle
ambitionnait, Satiah était prête à partir en guerre avec le roi.
Depuis les deux saisons précédentes, elle s’était
métamorphosée. La maladie l’avait allongée et mûrie, bouleversé le reste de sa
silhouette enfantine. La fièvre du mal épidémique avait définitivement emporté
ses formes d’adolescente. Son buste s’était étoffé, prenant des rondeurs douces
et agréables à l’œil. Longues, fines, ses jambes s’étaient affermies. Le mollet
galbé et le genou rond, l’épaule redressée et le cou allongé, la taille fine et
les hanches rondes, tout en elle avait pris cette apparence de femme qui, par
le biais de la séduction, pouvait imposer un style d’énergie et d’intelligence.
Combien de Secondes Épouses, dans un temps
très ancien, avaient su dépasser par leur culture et leur savoir les Grandes Épouses
Royales ? C’est un point qui brusquement crevait son esprit jusqu’ici
endormi.
Il lui fallait apprendre, se cultiver,
maîtriser un domaine dans lequel aucune autre femme ne pouvait briller. La
belle écriture qu’elle savait tracer avec des formes agréables, la voix chaude
et profonde qui lui servait à réciter des textes ou à jouer des scénettes
devant un public attentif, étaient insuffisants, dérisoires presque.
Pourquoi soudain comprenait-elle sa mère qu’elle
avait souvent critiquée, fort injustement d’ailleurs, pour avoir préféré sa
carrière professionnelle à sa fille ? Satiah découvrait subitement qu’une
femme pouvait avoir des désirs autres que ceux établis par une société
encombrée de vieilles coutumes et de traditions démodées. Et, ce que sa mère
avait fait par amour de son métier, Satiah pouvait sans doute le réaliser pour
l’amour d’un homme.
*
* *
Il était rare d’ouvrir une séance à la Cour de
Justice du temple.
Le Grand Prêtre Hapouseneb, Vizir et Juge
Suprême d’Amon, ne pouvant présider la Cour puisqu’il était le demandeur, l’audience
était tenue par Djéhouty, Vizir de la Haute Égypte assisté de Néhésy, Chef de
toutes les Polices et chargé de l’organisation de l’enquête.
Tous deux avaient été investis, comme il se
devait dans un tribunal de la plus haute instance, des pouvoirs illimités sur
la vie et la mort des coupables.
Devant, siégeaient les Premiers Prêtres d’Amon.
Nekmin en était le Grand Chef. Il relevait avec défi son buste long et maigre,
poussait en avant son visage au regard d’aigle avec une arrogance qui
déplaisait à Neb-Amon, présent à la séance pour avoir assisté à la mort de la
victime.
Au second rang, les scribes tenaient en main
leurs tablettes et leurs calames,
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