L'Ombre du Prince
une mauvaise graine prête à enfouir les bonnes
herbes qui s’apprêtaient à pousser à son côté.
Hatchepsout ne dormait plus. Trop de bruits
malveillants circulaient autour d’elle, trop de regards suspicieux l’entouraient.
Elle en arrivait même à soupçonner ses conseillers les plus fidèles.
Néhésy s’était lié d’amitié avec Amenphis, le
conducteur des Processions Sacrées, Capitaine de la Charrerie Royale qui
mettait en place les attelages de l’expédition du jeune Thoutmosis en Nubie.
Pouyemrê étudiait la façon la plus rentable de
financer cette expédition, sans trop amputer le budget de l’État. Mais, n’avait-il
pas accédé à la demande de Nekmin, l’un des adversaires les plus redoutables d’Hatchepsout,
pour vider les greniers d’Égypte d’une grosse part de blé qui constituait la
provision des années à venir ? Si les greniers à blé de Thèbes n’avaient
pas été touchés, en revanche, ceux des provinces l’étaient, à présent,
largement.
Or, Hatchepsout avait le pressentiment que,
prochainement, cette lourde erreur pèserait sur le pays. À la dernière
assemblée, ils avaient tous voté pour cette solution de facilité, Thoutmosis en
tête puisqu’il s’agissait du gonflement et du renforcement de ses armées.
Et puis, surtout, Hatchepsout n’était plus la
même depuis qu’elle avait répudié son fidèle et cher Senenmout. Mais, l’Intendant
avait été trop loin dans ses ambitions et l’erreur commise était irréparable.
Avait-il craint que le règne d’Hatchepsout s’achevât
plus tôt que prévu sans qu’il ait eu le temps de construire son temple
funéraire ? Pourquoi ne lui en avait-il pas parlé ? Hatchepsout
aurait-elle refusé cette faveur qui le consacrait au plus haut de son rang ?
Depuis que Senenmout n’était plus là, la pharaonne
ne pouvait se confier à quiconque. Sa fille ! Elle n’avait aucune
envergure et se refusait à discuter politique, finance, commerce. Un seul point
l’intéressait, la date de son prochain mariage qui la consacrerait Grande Épouse
Royale.
Et ensuite ! Qu’allait faire Mérytrê ?
Se cantonner dans ses appartements pour surveiller les concubines de son époux.
Au moins, que le dieu d’Amon lui accorde la faveur qu’il avait refusée à la
pharaonne, celle de donner un fils à l’Égypte.
— Séchât, je t’ai fait demander pour
parler avec toi. Je suis seule depuis que Senenmout est parti.
— Faites-le revenir, Majesté. Vous seule
en avez le pouvoir.
— Il m’a trahi et a trahi l’Égypte. Ses
ambitions ont été aussi hautes que les miennes. Qu’il reste éloigné sur ses
domaines que je ne lui ai pas retirés.
— Majesté, n’êtes-vous pas trop sévère ?
— Agir dans mon dos peut engendrer n’importe
quelle infidélité. Cela commence par une construction de temple financée par l’État
et dont je ne suis pas au courant, cela se termine par la couronne qu’on ôte de
ma tête.
Épuisée, elle se leva d’un mouvement las :
— Non, Séchât. Je n’ai plus confiance en
lui. Je ne crois plus en personne. Seul, Hapouseneb me reste fidèle.
— Justement, Majesté. Je voulais vous
parler de lui.
La reine sursauta.
— Ne me dis pas que lui aussi m’espionne.
— Hapouseneb vous est fidèle, Majesté. C’est
lui qu’on suspecte. Savez-vous qui a volé le collier du pharaon gardé en
offrande dans la chambre d’Hathor ?
Sur le geste étonné de la reine, Séchât poursuivit :
— Antef, par l’intermédiaire du nain de
Karnak.
— Le vieux filou, l’exécrable sujet, l’odieux
personnage ! rugit la reine en frappant ses paumes de colère l’une contre
l’autre. C’est mon adversaire le plus redoutable. Il peut aller jusqu’à me
supprimer. Je le sais. S’il ne l’a pas fait jusqu’à présent, c’est qu’il n’était
pas suffisamment entouré. Qu’a-t-il pu faire pour que mon père le protège ainsi
entre les murs du palais ?
Elle se calma, tritura de ses doigts nerveux
le collier d’ambre qui entourait son cou, puis ajouta :
— Je m’en doutais. C’est lui qui fournit
aux autres les renseignements qui me concernent. Le porc ! Le chacal !
Il veut me détruire, m’anéantir.
Elle prit place sur le sofa d’osier que recouvraient
de grandes ombelles multicolores en plumes d’autruche.
— Mais, tu as sans doute raison. Il me
reste Hapouseneb, le Grand Prêtre d’Amon.
— Majesté ! Là encore le vieil
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