L'Ombre du Prince
grillés aux aromates, gâteaux de melons et d’amandes,
lait caillé aux raisins s’étalaient à profusion sur les deux tables.
Alors que Cachou et Maâthor apportaient les
petites jarres en grès emplies de jus de grenade et de pastèque, Kaméni, le
conducteur de char, se fit introduire.
— Vite, Maître, la vieille Seconde Épouse
Moutnéfer est en train de rendre l’âme.
Neb-Amon réagit aussi vite que si le dard d’un
serpent l’eût piqué. Prestement, il se leva et se dirigea vers sa trousse à
remèdes.
— Ne m’attendez pas. Je rentrerai dès que
je pourrai. Si je reste au palais, je te ferai prévenir, fit-il en embrassant son
épouse.
Puis, il déposa un baiser sur la joue de son
fils et passa la main sur l’épaule de Satiah.
— Ne tourmente pas ta mère en mon
absence. N’oublie pas que tu lui dois encore obéissance.
— Et toi tu oublies sans doute que,
bientôt, je vais me marier.
— Te marier ! Grands dieux, mais
avec qui ?
— Avec Thouty.
— Satiah, fit observer Séchât. Ne
crois-tu pas qu’il est prématuré d’avancer une telle certitude ?
Thoutmosis va épouser Mérytrê, la future Grande Épouse Royale.
— Peut-être, répliqua la jeune fille,
mais moi, je serai sa Seconde Épouse.
— Il faudra pour cela que Mérytrê prouve
qu’elle ne peut avoir de fils. Alors, seulement Thoutmosis prendra une Seconde Épouse.
Ne crois-tu pas qu’à ce moment-là, il se présentera d’autres jeunes filles plus
jeunes et plus fraîches que toi ?
Ce fut l’apothéose d’une colère subite.
— Tu me brises sans arrêt. Tu as toujours
repoussé l’idée que je fréquente assidûment Thoutmosis.
Satiah tapait son poing sur la table et
frappait de son pied le sol recouvert d’un épais tapis confortable aux couleurs
vives.
— Tu refuses encore plus l’idée de me
voir en Seconde Épouse.
— Veux-tu donc être enfermée à vie au
harem ? jeta simplement Séchât en attendant la fin de l’altercation.
Elle vit que Neb-Amon s’était esquivé en
silence, préférant laisser mère et fille vider leur querelle.
— Mais, que crois-tu, enfin ?
vociféra Satiah. Que je vais attendre des jours et des nuits entières le bon
désir de Pharaon et que je vais rester prisonnière entre les quatre murs d’une
chambre exiguë avec les autres concubines ? Même au temps des pharaons les
plus anciens, cette coutume n’existait pas. Les Secondes Épouses ont toujours
eu le privilège de conserver leurs biens et leur liberté.
Le rouge empourprait ses joues et un éclat singulier
brillait dans l’ombre de ses yeux. Elle frappa de nouveau la table de son poing
fermé, puis balaya de l’autre main un plat garni de concombres qui alla joncher
et salir tristement le tapis.
Cachou et Maâthor arrivèrent en hâte. Elles n’osaient
ni souffler ni respirer.
— Je serai une Seconde Épouse adulée,
remarquée, respectée.
Elle s’emportait, suffoquait. Elle balança
rageusement un plat de dattes confites qui vint rejoindre les concombres.
En silence, Cachou ramassa les plats brisés
et, prenant soin de ne pas contrarier Satiah par un regard désapprobateur,
Maâthor nettoya les salissures.
— Regarde, cette vieille Moutnéfer que va
soigner ton époux, invectiva la jeune fille, n’a-t-elle pas été heureuse ?
J’aurai mes propres appartements qui côtoieront ceux de Mérytrê. J’aurai mes
attelages, mes bateaux, mes bijoux, mes ateliers de tissage, d’émaillerie et
pourquoi pas, mon théâtre.
Un théâtre ! Séchât leva le nez sur les
yeux rougis de sa fille. Elle s’approcha et celle-ci se jeta dans ses bras.
— Oh ! Maman, pourquoi ne veux-tu
pas comprendre ?
— Parce que je suis trop différente et
que je voudrais que tu me ressembles. Mais, je sais, ma chérie, que c’est une
chose impossible. Tu as raison. Ta vie sera comme tu le souhaites.
— Maman, murmura Satiah dont les colères
se calmaient aussi vite qu’elles s’élevaient, tel un khamsin incontrôlable qui
soufflait dans le désert, elles s’apaisaient sans que personne ne le pressente.
Maman, mes combats ne seront pas les tiens. Mais, je suis consciente qu’il
faudra me défendre, me protéger, me carapacer contre toute attaque.
— Je comprends, souffla Séchât à son
oreille. Je comprends.
*
* *
Quand Neb-Amon arriva près de Moutnéfer,
celle-ci respirait avec difficulté et ses yeux étaient à demi fermés.
Quatre servantes entouraient la
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