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L'Ombre du Prince

L'Ombre du Prince

Titel: L'Ombre du Prince Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jocelyne Godard
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façon méthodique
et parfaite la fameuse soirée où Isis, danseuse sacrée du temple, avait offert
sa virginité au Pharaon son fils ?
    Moutnéfer, Seconde Épouse du premier Thoutmosis,
avait donné aux dieux cette pure jeune fille en offrande, comme on jette un
mouton sur l’autel sacré. Et son fils était tombé dans le piège tentateur et
bienheureux. Le don des dieux qu’alors elle avait reçu en échange était bien ce
beau jeune homme, puissant, viril et volontaire, sorti du joli ventre d’Isis,
la danseuse.
    — Viens, mon enfant, fit-elle d’un ton
faible. Viens me raconter les préparatifs de ta prochaine expédition, car j’ai
appris que tu partais pour mater ces vils Nubiens.
    — Ne parle pas, je t’en prie. Il faut que
tu guérisses avant. Dès mon retour, je te raconterai mes exploits.
    Neb-Amon osa couper court au tête-à-tête qui
rapprochait l’aïeule et l’adolescent.
    — Votre grand-mère ne doit ni parler ni
se fatiguer, dit-il en recouchant la vieille femme dont le buste s’était
légèrement soulevé pour mieux voir son petit-fils.
    Un léger bruit se fit entendre du côté de la
porte et tous regardèrent la femme qui entrait, malgré l’interdiction récente
de Neb-Amon. Thoutmosis courut à elle, prit sa main et y déposa ses lèvres.
    — Mère, je crois qu’elle va mieux. Le
médecin d’Hatchepsout semble l’avoir bien soulagée.
    Isis coula ses yeux clairs vers Neb-Amon. Un
regard tranquille, assuré, serein qu’il saisit comme on attrape un oiseau
familier sorti quelques instants de sa cage.
    À trente-six ans, la mère de Thoutmosis était
restée une femme très belle. Sa noble prestance, ses gestes lents et gracieux
qui rappelaient l’ancienne danseuse sacrée révélaient toute une tradition ancestrale
qui imposait le respect.
    Isis avait des lèvres roses, fraîches comme
des pétales de lotus, qu’elle étirait en un sourire léger, aérien, discret.
Elle porta l’une de ses mains sur son cou fragile recouvert d’un fin collier d’or
et de turquoises.
    — Puis-je vous parler un instant ?
fit-elle en inclinant sur le côté sa tête coiffée d’une perruque tressée et
mêlée de fils d’or.
    — Certainement, fit Neb-Amon en s’inclinant
à son tour.
    — Thoutmosis, je t’en prie, reste quelque
temps avec ta grand-mère.
    Puis, elle sortit silencieusement avec le médecin.
Restées à l’extérieur de la chambre, les servantes attendaient patiemment les
consignes. Isis ne fit aucun signe pour les écarter, montrant ainsi sa volonté
qu’elles écoutassent les paroles de Neb-Amon, pour qu’ensuite elles les
rapportassent à la cour.
    — Votre avis sincère, médecin Neb-Amon ?
    — Avec le traitement que je vais lui
donner, elle peut passer cette nuit sans souffrir. Mais, le mal est trop avancé
pour qu’elle guérisse.
    Il vit une curieuse lueur emplir les yeux de
la jeune femme. Certes, Isis ne pouvait être atteinte dans son cœur par la
disparition de cette vieille femme autoritaire et tyrannique qui l’avait tant
harcelée de ses conseils et de ses perpétuelles recommandations comme si la
mère ne pouvait élever son fils.
    Elle eut un soupir léger, discret, mais
suffisamment visible pour que le médecin devine son sentiment.
    — En fait, médecin Neb-Amon, vous allez
éviter de la faire souffrir durant ses derniers instants.
    — C’est un peu ça.
    — Alors, c’est bien. Car je pense que
tous ces incapables de médecins-magiciens qui l’ont toujours entourée n’auraient
pas réussi cette performance. Qu’elle s’en aille dans l’au-delà sans souffrances
inutiles.
    Comme elle regardait les yeux étonnés du
médecin, elle ajouta :
    — Elle a pourtant fait souffrir bien des
femmes au harem quand j’étais la Seconde Épouse du pharaon son fils, et je ne
sais quel dieu dans l’au-delà la prendra chaleureusement en charge.
    Elle eut un petit geste imprécis.
    — Mais, je ne connais pas le sentiment de
vengeance et je vous demande la grâce qu’elle quitte l’ici-bas sans souffrances
physiques.
    Enfin, elle tendit au médecin sa main blanche
et souple qui portait juste une bague en turquoise.
    — Voulez-vous dire à mon fils qu’il me
rejoigne dans ma chambre ? Merci pour votre intervention, je sais que vous
êtes un médecin de cœur, généreux et capable. La pharaonne Hatchepsout me l’a
dit.
    Et, tournant la tête, elle glissa
silencieusement sur le sol laqué de marbre et disparut des yeux du

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