L'Ombre du Prince
rester ici un instant de plus. Edfou est, aujourd’hui, aussi
dangereux que l’était Hiérakonpolis.
— Je retire les amarres, répondit Kaméni
qui, lui non plus, n’avait pas été sans remarquer les sauriens qui guettaient
la descente des passagers.
— Vite, ne tardons pas. D’ailleurs, à
terre, nous sommes envahis par les mouches, poursuivit Séchât en repoussant d’un
geste nerveux une nuée d’insectes bourdonnants et agressifs qui zigzaguaient
autour d’elle.
Elle vit Kaméni enfoncer avec difficulté la
gaffe dans les eaux boueuses du port et se précipita pour détacher l’amarre qui
retenait l’embarcation au pontage. Le jeune scribe s’empressa de l’aider, puis
voyant que Kaméni peinait de plus en plus – c’est à peine s’il pouvait
ébranler le bateau tant le sol était sec – il s’écria presque joyeux :
— Veux-tu que je t’aide ?
Sans attendre la réponse, il aida promptement
Séchât à remonter sur le bastingage et, s’arrimant au sol, jambes écartées, s’aidant
d’un mouvement circulaire des épaules qu’il avait rondes, souples et musclées,
il poussa l’embarcation jusqu’à ce qu’elle décolle de terre.
— Le crocodile est peut-être toujours
sous la coque, jeta Satiah dont les yeux s’agrandissaient d’effroi.
— Non, je l’ai vu s’en aller là-bas, dit
Rekmirê en pointant son doigt vers le fleuve asséché.
— Ce voyage est trop périlleux et en l’absence
de Neb-Amon, je me sens responsable. Nous resterons à bord jusqu’à Bouhen.
Elle se pencha au-dessus de l’esquif et
aperçut le jeune scribe qui, voyant l’embarcation prendre un peu d’aisance sur
une mince pellicule d’eau, lâchait le bord du bateau.
— Sans toi, lui dit-elle, nous aurions eu
du mal à repartir aussi vite. Veux-tu monter avec nous ? Nous te
laisserons à Bouhen.
Le jeune homme lui répondit par un sourire
chaleureux et sans attendre davantage sauta sur le navire.
*
* *
— Je refuse d’embaumer Moutnéfer dans tes
locaux, jeta Neb-Amon d’un ton qui n’admettait aucune réplique.
— Alors, nous nous passerons de tes
services, jeta sèchement Pénith, le petit médecin aux yeux métalliques et à la
bouche épaisse.
— Faudra-t-il que tu viennes me dérober
le corps de la défunte Moutnéfer ?
— Le pavillon des morts que tu as
construit dans ton hôpital n’en est pas un, rétorqua Seddy en avançant sa lèvre
inférieure qui pendait à la moindre contrariété.
Neb-Amon se retourna lentement vers les
médecins qui parlaient ainsi. À présent, il les avait tous les trois devant lui
et pouvait, enfin, jouer à armes égales. Voici longtemps qu’il attendait cette
occasion. La vieille Moutnéfer dont il avait soulagé les dernières heures avant
d’atteindre l’au-delà l’y aidait plus généreusement qu’il l’eût cru.
— Si mon hôpital ne contient qu’un petit
pavillon destiné aux morts, il est, du moins, à la pointe du progrès et de la
perfection.
Il les dévisagea avec une pointe de morgue
dans l’œil.
— Vos procédés sont dépassés à présent et
vous le savez.
— Peu importe, répliqua Pénith en
clignant des yeux vers son ami Seddy. Ce n’est pas toi qui nous empêcheras de
momifier la vieille Moutnéfer.
Neb-Amon se fit narquois, plus qu’il ne l’était
à l’ordinaire.
— Moutnéfer était la Seconde Épouse du pharaon
Thoutmosis. À ce titre, Sa Majesté Hatchepsout réclame un embaumement avec les
herbes et les parfums que nous avons rapportés du Pount.
— Nous nous passerons de tes drogues.
Neb-Amon sourit. Ses drogues ! Certes, il
les avait mises au point avec un raffinement extrême, une maîtrise telle que la
complexité de leur mélange ne pouvait être assimilée que par lui. Il avait le
nom de chaque ingrédient en tête et la façon de les traiter. Il connaissait
chaque dosage et n’était pas prêt à en céder le secret à un autre.
Neb-Amon effectuerait son premier embaumement
dans les règles de l’art, associant les traditions anciennes aux découvertes
modernes. Et ce n’était certes pas ce triste petit trio de praticiens qui l’en
empêcherait.
Par précaution, Neb-Amon n’avait rien noté. Il
nettoierait les intestins et les autres viscères au vin de palme. Puis, il
emplirait le corps vidé de ses substances avec des aromates broyées, de la
myrrhe pure et de la cannelle. Tout en restant élastique, le corps serait plus
dur et cela
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