L'Ombre du Prince
uns
vers le nord, les autres vers le sud.
Deux hommes de police patrouillaient près de l’embarcadère
et quelques petits scribes s’affairaient à griffonner sur leur tablette les
chiffres qui totalisaient les caisses de fruits et de légumes, les barils de
bière, les sacs de blé, les bottes d’oignons, les oies, les canards et les
poules encagés, tout ce qui constituait la vie de cette petite ville.
Séchât mit sa main en visière et regarda le
port. Après les berges environnantes que les bateaux venaient de dépasser et
dont les bœufs s’emparaient pour venir s’y désaltérer, elle avait cherché des
yeux les oasis verdoyantes qui, habituellement, en ponctuaient chaque détour.
Mais, les bœufs pataugeaient tristement dans des flaques de boue, secouant
leurs têtes massives et chassant de leurs queues les mouches malodorantes.
— Nous allons descendre sur le quai,
dit-elle à ses enfants. Nous visiterons la ville. Il faut que tu saches,
Satiah, qu’à l’Ancien Empire, Edfou était un site florissant. On y adorait
autrefois un prince généreux, sage et intelligent. Il s’appelait Isi et il fit
bâtir dans la ville un temple grandiose qui, bien entendu, favorisa la culture
et le commerce de toute la région.
— Le visiterons-nous, maman ? fit le
petit Rekmirê.
— Bien sûr, fit Séchât en repoussant la
nuée de mouches qui, depuis l’aube, venait les agresser.
— C’est étrange, murmura-t-elle, d’ordinaire,
elles ne s’agitent qu’au lever du soleil. On dirait que celles-ci cherchent à
nous annoncer quelque chose d’inhabituel.
Soudain, baissant les yeux, elle vit un homme
non loin d’elle, assis en scribe contre la coque du bateau. Tourné vers le
port, il écrivait sur un morceau de calcaire.
L’homme était jeune, presque un adolescent, le
teint brun et les cheveux crépus et noirs. Sans doute avait-il quelque sang nubien
qui venait réchauffer ses veines. Dans sa naïve et touchante nudité, Cachou l’avait
déjà remarqué. Le jeune scribe – du moins, s’il en était un – avait
tourné plusieurs fois son visage vers elle et semblait apprécier à sa juste
valeur les formes rondes et pulpeuses de la jeune servante.
— Cachou, qui est cet homme ?
fit-elle à la jeune fille qui observait avec intérêt l’individu assis contre la
coque de son bateau.
— Un scribe, sans doute, fit Cachou en
coulissant un sourire du côté de l’homme qui, justement, tourna la tête dans
leur direction.
Séchât traversa la passerelle qui menait à la
proue et s’aidant du cordage qui tombait au sol, descendit tranquillement à
terre.
L’homme se leva. Pour ne pas tacher davantage
sa tunique qui déjà était grise et poussiéreuse, il s’était assis sur la pierre
haute qui servait d’accostage, le dos appuyé au bateau.
— Pardonnez-moi de m’être installé là,
fit-il en saluant Séchât. J’ai tant été séduit par cette agitation du port qu’il
m’a fallu de suite la dépeindre.
Puis, il tendit son calcaire à la jeune femme.
Elle observa quelque temps le trait habile du garçon. L’agitation du port était
cernée avec un art subtil et discret, mais rien n’y manquait.
— Es-tu peintre ?
— Je suis à la fois scribe et peintre.
Malheureusement, je n’ai trouvé aucun travail. Ni là ni ailleurs et je pense
retourner à Koumneh dès que j’aurai réuni l’argent de mon voyage.
— Es-tu originaire de la troisième
cataracte ?
— On peut le dire, répondit le jeune
homme en haussant l’épaule. J’ai de la famille à Soleb. Peut-être vais-je même
m’y installer après en être parti, voilà déjà bien longtemps.
— Qu’y feras-tu ?
— Mes cousins sont des paysans. Ils ont
quelques aroures en louage. Je travaillerai la terre avec eux. Cela vaudra
mieux que de mourir de faim ici, jeta-t-il d’un ton blasé.
— C’est dommage ! Avec le don qui
est le tien.
Le jeune scribe haussa de nouveau les épaules et
tourna la tête.
— Attention ! cria-t-il soudain en
esquissant un bond rapide sur le côté.
Puis, il tira violemment Séchât en arrière. Surprise,
elle faillit perdre l’équilibre, mais il la retint d’une poigne robuste. C’est
alors qu’elle vit l’ombre d’un crocodile se faufiler lentement sous la coque du
bateau, puis glisser et disparaître de ses yeux.
— Kaméni ! s’écria-t-elle aussitôt.
Nous repartons. Cet endroit sera bientôt infesté de crocodiles. Il n’est pas
question de
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