L'Ombre du Prince
l’enfant posait toutes sortes de
questions, voulait tout savoir, tout comprendre. Rekmirê était un enfant
éveillé, dégourdi, intelligent et toujours enthousiasmé comme l’était sa mère.
Mais, il possédait une qualité supplémentaire fortement développée chez son
père, la faculté d’approche et de communication, le don de s’intéresser aux
autres et une extrême générosité de cœur.
— Mon chéri, voici deux ans que nous ne
sommes pas allés à Bouhen parce que ton père venait de créer l’hôpital et qu’il
ne pouvait s’absenter avant qu’il ne fonctionne parfaitement.
— Mais, nous pouvions y aller, toi,
Satiah et moi, comme aujourd’hui.
— Non, Rekmirê. J’avais moi-même mon
école à préparer, organiser, recréer. Il y avait longtemps que les habitudes du
vieux Parenefer étaient englouties dans de vagues souvenirs. Il fallait
réveiller tout cela.
L’enfant hocha la tête, montrant qu’il comprenait.
Puis, pointant son index vers le Nil, il demanda :
— Où allons-nous nous arrêter ?
— Comme nous ne sommes pas pressés, nous
allons faire de nombreuses escales.
L’enfant exulta, mais Satiah fit la grimace.
— Pourquoi, Maman ? Il me tarde d’être
à Bouhen.
— Ton frère n’a encore jamais voyagé,
Satiah, il faut lui montrer ce que sont les autres villes. Il doit faire son
apprentissage sur les gens, les habitudes, les lieux qui ne sont ni Thèbes ni
ses environs.
Elle observa sa fille et ajouta :
— D’ailleurs, toi aussi, tu n’as guère
voyagé. Enfermée au harem comme tu l’étais, à ne jamais vouloir en sortir.
— De la faute à qui, maman ? Si tu n’avais
pas été la Grande Scribe de Sa Majesté la Pharaonne Hatchepsout – elle
appuya volontairement sur ces termes – tu m’aurais fait voyager plus tôt.
Séchât soupira, mais ne répliqua rien. Elle ne
voulait pas se disputer avec sa fille, en ce grand matin de départ. Et puis,
quoi répondre ? Satiah lui faisait tant de fois ce reproche.
Rekmirê coupa net le léger malentendu qui
opposait encore mère et fille.
— Regardez, voici Kaméni. Nous pouvons
embarquer.
*
* *
La crue du Nil tardait.
Kaméni regardait avec effroi les bords d’un
fleuve jauni par le soleil. Tout avait l’air désertique. Séchât, elle-même,
tournait de temps à autre ses yeux étonnés vers un paysage qu’elle ne
reconnaissait pas. Seuls, les enfants semblaient ne pas s’inquiéter d’un fait
qui leur paraissait s’intégrer normalement dans l’inaccoutumé de leurs
habitudes.
Les rives asséchées laissaient apercevoir les
lieux d’accostage et Kaméni qui dirigeait l’embarcation aperçut soudain celui d’Hiérakonpolis.
Il se dégageait distinctement, au loin, dans un amas de verdure desséchée.
— L’embarcation n’avance que faiblement,
dit-il à Séchât qui se tenait debout près de lui.
La grande barque, d’excellente qualité, bien
conçue, abritée par un fond solide de papyrus tressé qui ne laissait pas
pénétrer l’eau, donnait en principe aux passagers une confiance extrême.
Mais, depuis quelques heures, cette confiance
se muait en angoisse. Déjà, les trois embarcations de Séchât qui devaient
accoster à Esna ne s’étaient pas arrêtées et le petit port, habituellement
accueillant, semblait fermer ses portes aux passagers des bateaux.
Des bateliers faisaient prudemment le gué avertissant
que l’eau du fleuve était si peu profonde que les quilles des barques les plus
légères heurtaient sans cesse les crocodiles qui ne trouvaient plus leur
élément habituel.
— Passons Hiérakonpolis, fit Séchât en
scrutant l’horizon d’un œil incertain. Peut-être qu’à Edfou, le cours d’eau se
fera plus intense.
Puis, elle partit rejoindre ses enfants qui
discutaient sur la petite passerelle aux côtés de Cachou et de Maâthor.
La journée se passa pourtant sans encombre et
le soir, ils purent accoster à Edfou. Nulle interdiction ne vint les en
empêcher. Certes, la chaleur était si forte et si lourde que personne ne
pouvait supporter le moindre vêtement. Rekmirê, Satiah et la jeune Cachou
restèrent nus. Étendus sur le bateau aux côtés de Séchât, ils observaient d’un
air amolli le rivage qui, peu à peu, sombrait dans l’obscurité d’une nuit
bienfaitrice et rafraîchissante.
L’agitation du port d’Edfou les éveilla dès l’aube.
Des chalands débarquaient les marchandises et repartaient aussitôt, les
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