L'Ombre du Prince
bête et s’y blottit avec délice.
— Princesse ! Regarde, Thouty. C’est
Princesse qui revient. Oh ! Ma jolie, ma toute belle.
L’animal rugit doucement, secoua sa crinière
que les sauterelles envahissaient encore. Puis, la pluie se mit à tomber,
mêlant l’horreur du chaos à une chaude humidité qui les recouvrit et les lava
de tous les débris minéraux et animaux accumulés sur eux.
Enfin, après les mille caresses des
retrouvailles qui s’imposaient, Princesse tira la jeune fille qui s’accrochait
toujours à sa crinière. Apparemment, elle voulait lui faire comprendre qu’ils
devaient tous deux la suivre.
Le vent était complètement tombé et une pluie
divine, fraîche, lourde peut-être, mais si bienfaisante, les couvrit de son
intention réparatrice.
Ils suivirent Princesse qui les emmena
aussitôt dans cet abri perdu qu’ils n’avaient pu trouver. Une sorte de cabane
en briques de terre séchée, assez spacieuse et dont l’orifice était obstrué par
des pierres et des branchages de papyrus calcinés par la sécheresse.
Qu’elle était belle Princesse dans son allure
royale et dégingandée ! Que son pelage était soyeux et magnifique !
Que ses yeux étaient doux et tendres ! Satiah sentit fondre toute son
angoisse et ses appréhensions.
Pourquoi l’orifice de l’abri était-il camouflé
par les pierres et les branchages, puisque la lionne semblait en connaître l’intérieur ?
Questions futiles alors que Satiah était rompue, lasse et voulait dormir.
Quand elle vit Thoutmosis et la lionne dégager
l’ouverture, quand elle pénétra dans l’abri frais et rassurant, elle poussa un
petit cri de bête étonnée. Un lionceau balançait sa queue de joie en reconnaissant
sa mère qui l’avait quelque temps abandonné.
Sans une seule once de rancune, le bébé fauve
vint lui lécher la jambe. Satiah le prit dans ses bras et enfouit son visage
meurtri par les attaques du vent et des sauterelles dans le pelage doux et
soyeux. Puis elle le tendit à sa mère.
Princesse avait osé accepter l’impossible, laisser
son enfant dans cet infernal ouragan pour aller sauver la jeune fille.
Durant la nuit, le khamsin souffla encore.
Peut-être même qu’une nouvelle nuée de sauterelles attaqua sauvagement la
cabane. Mais, tendrement enlacés, Thoutmosis et Satiah regardaient la Princesse
lécher avec amour son petit.
*
* *
Les dieux restaient intraitables, la crue ne
venait pas et, à Bouhen comme ailleurs, la terre asséchée se craquelait là où l’herbe
poussait quelque temps plus tôt. L’air, qui devenait irrespirable, semblait
prendre plaisir à compliquer les choses.
La famine s’installait, consécutive à la sécheresse
et aux invasions de sauterelles qui avaient dévasté le peu de cultures
restantes.
Au palais de Thèbes, la garde s’était
renforcée. Elle s’était intensifiée non pas suite aux craintes personnelles de
la pharaonne Hatchepsout, mais pour éviter tout passage venant de l’extérieur
car la disette se doublait d’une épidémie hélas fatale pour le peuple appauvri.
Le mal était venu du nord. Tout d’abord, ce
fut Memphis sur la branche extrême droite du delta qui fut touché. Les
nouvelles arrivaient à peine à Coptos que la ville, à son tour, subissait les
aléas du fléau. Puis ce furent Abydos et Thèbes où famine et contagion
descendaient inexorablement, atteignant même Philae, Assouan, Abou Simbel,
prenant au passage la vie des hommes, des femmes et des enfants les plus
faibles.
Depuis un certain temps, bœufs, porcs, chevaux,
chiens et chats avaient disparu, morts de faim ou tués, dépecés et mangés par
les hommes.
Il en était toujours ainsi aux premiers temps
d’une famine. Quand il n’y avait plus ni céréales ni légumes, plus de poissons
dans le fleuve ni de gibier d’eau, on tuait les animaux restants pour survivre.
Dans un second temps, quand la mort frappait
les plus faibles et qu’il ne restait plus qu’à gratter la terre pour trouver
une racine à cuire, se produisait alors l’inéluctable : on ne pouvait même
plus prendre la peine et le soin d’enterrer les morts.
Les familles se décimaient à vue d’œil. Les
énergies diminuaient en même temps que le nombre des morts augmentait. Tout d’abord,
c’était l’aïeul de la maison, puis le dernier-né que la mère ne pouvait plus
allaiter. Suivaient dans cette triste hécatombe, les enfants en bas âge, du
moins les plus faibles, les
Weitere Kostenlose Bücher