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L'Ombre du Prince

L'Ombre du Prince

Titel: L'Ombre du Prince Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jocelyne Godard
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l’heure effectuer et qu’ils appréhendaient en épongeant leur front embué
de sueur.
    Ce matin-là, des dizaines d’hommes, de femmes
et d’enfants se pressaient contre les murs d’enceinte du palais de Thèbes. Les
cris et les pleurs avaient cessé depuis longtemps. Ils étaient là, muets, le
teint sans couleur et les yeux sans éclat. Une ombre de mort flottait sur leurs
visages. Leurs corps anguleux, décharnés, ne pouvaient plus tenir droit et ils
tombaient à chaque instant.
    Les plus solides ne gardaient que l’énergie du
désespoir et l’on assistait à quelques étranges visions qui se muaient en
épouvantables cauchemars.
    Deux hommes se battaient pour les restes d’un
poisson qu’ils avaient dû trouver sur la berge du fleuve. C’était un gardon
desséché dont il ne restait que la tête, la queue et l’arête dorsale et qui, de
surcroît, devait être contaminé, car tout ce qui venait du Nil était infecté du
terrible microbe qui apportait la mort. Mais, pour les deux hommes que la faim
rendait fous, le poisson symbolisait la vie. Alors, les doigts décharnés de l’un
arrachèrent la tête, tandis que ceux de l’autre happèrent la queue et l’arête
pour les enfouir aussitôt dans sa bouche.
    Plus loin, s’accrochant à la paroi du mur d’enceinte,
une femme encore à demi vivante, mais que la famine avait rendu folle, tenait
un enfant dans les bras et cherchait à escalader les murs dont elle n’évaluait
plus la hauteur. Elle se déchirait les mains sur la rugosité des pierres. Ne
pouvant y arriver, elle se fracassa la tête contre la paroi, laissa tomber l’enfant –
déjà mort sans doute – et vint mourir elle aussi, délivrée de cette
épouvantable hantise qu’est la faim.
    D’autres, à moitié couchés sur le sol,
geignant faiblement, semblaient résolus à l’inévitable malchance qui, depuis
leur naissance, les poursuivait avec acharnement. Parmi eux, il y en avait pourtant
quelques-uns plus favorisés qui, malgré l’état précaire de leur condition, n’avaient
cependant jamais manqué de pain ni de bière.
    Le destin allait-il continuer à jouer en leur
faveur en leur apportant la résistance nécessaire pour survivre à cette
calamité que les dieux faisaient tomber sur l’Égypte ? Ce dieu du Nil dont
les riches ne cessaient de vanter les louanges et les générosités allait-il se
pencher sur eux et leur accorder au moins le privilège de ne pas être
contaminés ? Car, dans cette masse grouillante de pauvres êtres se
tenaient ceux dont la sagesse et la patience frappaient l’esprit. Ils n’absorbaient
ni terre ni eau, rien qui puisse leur apporter la mort si ce n’était justement
ce manque de nourriture.
    Oui ! Ceux-là risquaient de s’en sortir
si les dieux s’apitoyaient sur leur sort et, du moins pour un temps, si ces
mêmes dieux cessaient de se tourner vers ceux qui, à l’abri du palais,
mangeaient à leur faim.
     
    *
    * *
     
    En l’absence de Neb-Amon, les trois médecins
du palais hésitaient à se propulser dans une atmosphère malsaine, hors des murs
protecteurs de l’enceinte qui, pour l’instant, les protégeaient d’une
contamination évidente.
    Si Mékyet avait tenté une brève incursion
au-dehors du palais, il ne l’avait fait qu’une seule fois, vite rebuté par ce
qu’il y avait vu. Quant à Pénith, il ne s’était encore jamais aventuré au-delà
des limites qu’il s’était fixées et qui n’allaient pas plus loin que les
grandes portes en bois de cèdre qui fermaient l’enceinte du palais. D’ailleurs,
pour ne pas s’inquiéter davantage, ils avaient fait venir, l’un et l’autre,
femmes et enfants et les avaient installés dans un grand pavillon afin de ne
pas avoir à sortir.
    Au harem du palais de Thèbes, gigantesque
entreprise où se tenaient les concubines et leurs familles, les prêtres
dirigeants, les artisans qui travaillaient aux ateliers de tissage, de
verrerie, de vannerie, de parfumerie et le nombreux personnel qui vaquait aux
diverses occupations quotidiennes, tous étaient sévèrement inspectés par les
trois médecins.
    Dès qu’un visage présentait les signes de la
mortelle épidémie, plaques rougeâtres sur le front, le cou et la gorge – quelquefois
les zones atteintes descendaient jusque sur le ventre et le haut des cuisses –
les trois médecins n’hésitaient pas à transporter le malade là où les quelques
contaminés avaient été relégués, une sorte d’annexe

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