L'Ombre du Prince
remède dont tu parles et il ne peut que soulager avant la
mort.
Elle parlait lentement et les larmes coulaient
de ses yeux. Il fallait que sa détresse soit grande pour qu’elle perdît ainsi
le contrôle d’elle-même.
— Ils veulent que j’abdique. Je refuse et
je refuse encore. Mais hélas, je suis seule à présent. Dès qu’Hapouseneb sera
démis de ses fonctions, ce qui ne saurait tarder, plus rien ne s’opposera à la
fin de mon règne.
— Votre fille, Majesté, n’est-elle pas
votre alliée ?
— À présent, Mérytrê ne pense plus qu’à
épouser Thoutmosis, devenir reine à son tour et couronner son époux Pharaon. Si
je n’abdique pas, on me tuera.
Le médecin réfléchissait.
— On me supprimera, Neb-Amon, par le poison,
le javelot ou l’enfermement. Il faut que tu m’aides.
— Je n’en vois guère le moyen.
— Cherche.
Elle se leva et, ses yeux redevenus secs,
frappa brusquement dans ses mains.
— Conduisez le médecin auprès des
contagieux du harem afin qu’il puisse effectuer leur transfert à son hôpital.
Dès que ton fils sera remis, viens me voir avant que je t’appelle. La nuit
porte conseil et, malgré les tâches qui t’attendent, pense à ma requête.
*
* *
— Non, Keptah, jeta Neb-Amon, en
regardant son assistant préparer le remède, pas de ciguë lorsque l’entérite n’est
pas en voie de guérison. Cela peut tuer le malade.
Avec délicatesse, il posa sur la table où s’alignaient
les outils chirurgicaux sa clepsydre miniature qu’il utilisait lors de ses
déplacements et observa quelques instants les gestes de Keptah.
— Surveille leurs linges et s’ils sont
sales, poursuis le traitement de mellite et d’oxymel. Si le corps du malade ne
se vide plus et s’il est au sommeil, diminue la dose d’opium. Ne l’augmente que
s’il gémit.
Il tourna doucement vers le mur le corps d’une
pauvre vieille femme qui venait de rendre l’âme et le recouvrit d’un linge
blanc et propre. Osseuse, mais le visage serein, elle était partie en souriant
à la déesse Isis qui, sans doute, allait la prendre dans son au-delà
bienheureux. Alignés sur des couches disposées les unes à côté des autres, les
malades étaient tous entre la vie et la mort.
La première salle de l’hôpital contenait les
patients récupérables, ceux que la contamination venait de toucher, mais qu’il
fallait surveiller jour et nuit pour voir comment la maladie évoluait.
La salle suivante, celle qui disposait de la
plus grande aération, recevait les cas les plus critiques, ceux qui mouraient
lentement et, plus loin, émergeaient d’un horizon bien noir ceux qui peu à peu
guérissaient doucement.
Chaque matin, Keptah préparait les potions,
les pommades, les cataplasmes, les onguents comme le lui avait appris Neb-Amon.
Depuis l’aube, il mesurait avec précision les racines des plantes, pesait les
graines, comptait les gouttes, puis écrasait, concassait, pilait. Un jardinier
apportait chaque matin les herbes et les plantes médicinales.
Grâce au budget que l’État lui allouait, il
pouvait se féliciter de ne manquer de rien et de travailler dans les meilleures
conditions qui soient.
Dès l’aube, Keptah préparait les remèdes nécessaires
pour la journée. Puis, il administrait aux patients tout ce qui leur était
indispensable, anesthésiques, narcotiques, calmants, purgatifs, antiseptiques
afin de les soulager au mieux.
Après la prise des remèdes, Neb-Amon et lui faisaient
un tour général et s’attardaient longuement devant chaque cas, observant,
discutant, prenant la décision, le risque parfois, qui devait atténuer le mal.
Puis, quand le médecin avait jugé chaque situation,
il s’en allait visiter les malades au-dehors du palais. Ceux de Thèbes qui
réclamaient aussi sa présence et qu’il ne pouvait faire entrer dans son
hôpital.
Tous ceux qu’Hatchepsout avait nourris étaient
repartis chez eux mais avaient été frappés par la contagion, quant à ceux qui n’étaient
pas soignés, ils périssaient dans les maisons, les abris, les rues ou allaient
mourir dans le Nil pour tenter d’y attraper un poisson mort surnageant
au-dessus de l’eau noire, poisson mortel qui en contaminait d’autres.
Et Neb-Amon soignait à même la rue, vidait ses
sacoches emplies de remèdes avec lesquels il n’en sauvait que peu. Mais pour
ceux-là, les déshérités qui n’avaient pas le moindre argent, les humbles, les
modestes, les
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