L'Ombre du Prince
accueilli ?
— Alors, nous attendrons que ce messager
se remette de ses fatigues et nous partirons dès demain. Nous prendrons trois
chars et plusieurs chevaux pour être sûrs d’arriver sans ennui.
*
* *
Et la crue n’apparaissait toujours pas.
Au matin suivant, trois chars tirés par des
petits chevaux résistants et rapides s’élançaient sur les pistes du désert en
direction de Thèbes.
L’un mené par le colosse Nedjar prenant en
charge le médecin et son fils, le second conduit par le messager de la
pharaonne, et le troisième par Kéni, à qui Séchât avait demandé de partir pour
seconder Nedjar en cas de difficultés.
Dès les premiers tours de roues, le messager d’Hatchepsout
avait tout naturellement pris la tête. C’était un conducteur émérite, sûr de
lui, efficace. Reposé de ses fatigues, il paraissait inépuisable. Petit et d’allure
sèche, résistant comme un sycomore, il bravait le désert.
Nedjar conduisait un grand char, lourd,
robuste, confortable, assorti d’une stabilité plus grande. Le fond de sa coque
incurvée comportait un renfoncement où l’enfant pouvait se recroqueviller et
dormir.
Il fut entendu que la monture dans laquelle se
trouvait Neb-Amon et son fils resterait au centre du petit convoi, pour ne pas
ralentir la course des chevaux.
Depuis quelques jours, la chaleur s’était un
peu amoindrie, mais l’étouffement de l’air restait latent. Les excavations et
les crevasses causées par le vent se comblaient peu à peu, les dunes abruptes s’adoucissaient,
les roches qui cachaient les puits se dégageaient de leurs gangues ensablées
pour n’offrir aux voyageurs assoiffés que des trous asséchés.
L’allure des attelages alla bon train sans
autre arrêt que celui d’un repos de quelques heures aux alentours d’Amada. Les
raisons étaient suffisamment essentielles pour qu’on ne désirât pas s’attarder,
car le sable poussé par le vent dégageait des centaines de corps d’hommes morts
dans le désert durant la terrible tempête du khamsin suivie par l’invasion des
sauterelles.
Neb-Amon refusa une halte trop longue pour
éviter les risques d’épidémie. Il fallait passer au plus vite près de ces
tristes obstacles qui, bientôt, seraient déchiquetés par les vautours, les
hyènes et les chacals et dont les os, dans quelque temps, seraient pétrifiés et
blanchis par le soleil.
Rekmirê regardait ce triste tableau avec l’étonnement
naïf de son jeune âge, posant des questions à son père, essayant de discerner
le pourquoi et le comment de ces visions hallucinantes qu’offraient ces pauvres
corps nus et décharnés offerts à la brûlure du soleil.
Aux approches de Coptos, le tableau fut plus
horrible. Des caravanes entières gisaient çà et là. Désensablés, chameaux et
bédouins étaient étendus sur le sable. Les corps venaient à peine d’être
déchiquetés par les rapaces qui volaient encore dans un ciel dru et sauvage.
Ils devaient sans doute chercher la route qui menait à Quoser, le grand port
établi sur les bords de la mer Rouge. Neb-Amon ne put s’empêcher de penser à la
soif intense qui amenait progressivement à la mort.
Rekmirê dormait peu. Il se tenait éveillé aux
côtés de son père. C’était son premier long voyage en char, un périple que le
garçonnet n’était pas près d’oublier.
Les chevaux éprouvaient une fatigue intense
tant la course du désert avait été rude. Leurs naseaux fumaient, leurs
crinières s’agitaient anormalement et leurs sabots devenaient de plus en plus
nerveux.
Le ciel avait repris sa teinte naturelle d’un
bleu pur de lapis-lazuli et s’il était sillonné par les vautours, c’était que
bien des cadavres encore gisaient aux approches de la capitale.
Ce fut aux portes de Thèbes que Rekmirê fut
pris d’un violent mal de ventre. Refusant d’en parler à son père par crainte de
retarder l’arrivée des attelages auprès de la reine, il dut se coucher pour ne
pas crier de douleur. Quand les attelages passèrent l’enceinte du palais,
Neb-Amon le découvrit au creux de la coque du char, gisant inconscient dans une
mare épaisse et nauséabonde.
CHAPITRE VIII
Keptah, l’assistant de l’hôpital, avait
parfaitement fait son travail et, si le fils de Neb-Amon n’avait pas été touché
par la cruelle épidémie qui décimait tant d’Égyptiens en cette saison de Périt,
il eut fêté son retour.
Mais Rekmirê était étendu sur sa couche,
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