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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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L'ange lui expliqua qu'il était venu parce que Dieu n'avait pas
l'intention de répondre à ses prières. Il lui dit de ne pas s'en inquiéter car, d'une manière ou d'une
autre, il lui enverrait un enfant. Il se pencha sur elle, chuchota le mot Tibidabo , et l'embrassa très tendrement sur les
lèvres. Au contact de ces lèvres fines au goût de caramel, Jacinta eut une
vision : elle aurait une fille sans avoir besoin de connaître un homme (ce
qui lui fut plutôt un soulagement, au souvenir de son expérience de trois ans
de lit commun avec un mari qui ne pouvait la besogner qu'en lui mettant un
oreiller sur la tête et en grognant : « Ne regarde pas, salope »).
Cette enfant se présenterait à elle dans une ville très lointaine coincée entre
une lune de montagnes et une mer de lumière, une ville où s'élevaient des
édifices comme il en existe seulement dans les songes. Après coup, Jacinta ne
put dire si la visite de Zacarías avait été encore un de ses rêves ou si l'ange
était vraiment venu à elle dans la cathédrale de Tolède, avec son chat et ses
ongles écarlates tout droit sortis de chez la manucure. Mais elle ne douta pas
un instant de la véracité de ses prédictions. Le soir même, elle consulta le
diacre de la paroisse, un homme cultivé qui avait vu le monde (on disait qu'il
était allé jusqu'à Andorre et baragouinait le basque). Le diacre qui prétendit
ne pas avoir entendu parler d'un ange Zacarías parmi les légions ailées du ciel, écouta
attentivement la vision de Jacinta. Après en avoir bien pesé les termes et
s'être arrêté à la description d'une sorte de cathédrale qui, selon les mots de
la visionnaire, ressemblait à un grand peigne de mantille en chocolat fondu,
cet homme expérimenté lui dit : « Jacinta, ce que tu as vu est
Barcelone, la grande magicienne, et le temple expiatoire de la Sagrada
Familia... »Deux semaines plus tard, armée d'un ballot, d'un missel et de
son premier sourire depuis cinq ans, Jacinta partit pour Barcelone ,
convaincue que la description donnée par
l'ange viendrait réalité.
    Des
mois de dures vicissitudes devaient
s'écouler ava nt que Jacinta trouve enfin un emploi stable dans des
ateliers d 'Aldaya & fils, près de
l'ancienne Exp osition universelle de la Citadelle. La Barcelone de ses
rêves s'était transformée en
une ville hostile et ténébreu se, faite de riches demeures fermées et d'usines qui so ufflaient
une haleine de brume imprégnant la peau de
cha rbon et de soufre. Jacinta
sut dès le premier jour que cette ville était une femme, vaniteuse et cruelle ; apprit à la craindre et à ne jamais la regarder dans
les yeux. Elle vivait seule dans une
pension du  quartier de la Ribera, où son salaire lui permettait à peine
de payer une chambre misérable, sans
fenêtre et sans autre lumière
que celle des cierges qu'elle dérobait dans la cathédrale et laissait allumés
toute la nuit pour tenir à distance les rats qui avaient grignoté les oreilles et les doigts du bébé de Ramoneta, une
prosti tuée occupant la
chambre voisine, seule amie qu'elle avait réussi à se faire en onze mois. Cet hiver-là, il plut presque tous
les jours, une pluie noire, chargée de suie et d'arsenic. Bientôt, Jacinta commença de craindre que
Zacarías ne l'ait trompée, qu'elle ne soit venue dans cette ville que pour y
mourir de froid, de misère et d 'oubli.
    Décidée à survivre, Jacinta se rendait chaque matin à
l'atelier avant le lever du soleil et n'en repartait qu'à la nuit tombée. C'est
là qu'elle rencontra par hasard M. Ricardo Aldaya, qui s'occupait de la fille
d'un contremaître frappée de consomption. En voyant le dévouement et la douceur
dont cette jeune femme faisait preuve, il décida de l'emmener chez lui pour
prendre soin de sa femme, laquelle était enceinte de
l'enfant devait qui être leur premier-né. Ses prières avaient été entendues.
Cette nuit-là, Jacinta vit de nouveau Zacarías en rêve. L'ange n'était plus
vêtu de noir, Il était nu, et des écailles recouvraient sa peau. Il n'était
plus accompagné de son chat, mais d'un serpent blanc enroulé autour de son
torse. Ses cheveux avaient poussé et lui descendaient à la ceinture, et son
sourire, le sourire de caramel qui lui avait donné un baiser dans la cathédrale
de Tolède, laissait voir des dents triangulaires et serrées comme celles
qu'elle avait vues chez certains poissons de haute mer battant de la queue dans
la halle aux marées. Des

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