Londres, 1200
transpirait abondamment et s’essuya
discrètement le front. Pour l’instant, personne ne faisait attention à sa
présence. Et s’il s’éclipsait ? se dit-il. La Braye lui avait dit avoir à
s’occuper du départ de ceux qui partaient pour la Normandie. Il n’y aurait donc
personne dans sa chambre et il pouvait justifier qu’il y logeait. Avec sa dague
et l’aide de Ranulphe, il parviendrait peut-être à forcer la serrure du coffre.
Il allait faire signe à Ranulphe de le suivre
quand il fut abordé par un autre chevalier. Celui-là avait une balafre et un
regard sinistre.
— Par saint Dunstan, Randolf, j’attendais que
tu t’approches, mais tu demeures sur place comme une statue de bois ! lui
reprocha-t-il.
C’était Aubrey de Vere, le grand chambellan,
devina Furnais.
— Excusez-moi, seigneur comte, mais je ne
vous avais pas aperçu. J’ai la vue qui baisse un peu en ce moment, et cette
salle est si sombre.
— C’est vrai ! Roger !
interpella-t-il un seigneur aux joues couperosées qui tenait un grand hanap de
vin à la main. Fais allumer des flambeaux, on n’y voit rien ici !
Il se tourna à nouveau vers Furnais :
— J’ai failli m’arrêter au château des
Turnham durant mon dernier voyage, fit-il, mais j’avais trop de shérifs à
rencontrer pour vérifier leurs comptes.
— Je le regrette sincèrement, seigneur comte,
fit Furnais. Mais vous n’auriez rien trouvé à redire dans les comptes de mon
frère. Ce n’est pas sans raison que le roi Richard avait pris les Turnham comme
trésoriers !
— Je le sais, Randolf, je le sais ! fit
chaleureusement le grand chambellan. Mais dis-moi, tu ne connais certainement
pas Étienne de Dinant…
Il désigna un jeune homme aux manières affectées,
en chasuble de soie doublée d’hermine bordée d’un passement de petites tours
crénelées. Il parlait avec une femme brune, d’un certain âge, aux cheveux repliés
sous un bonnet turquoise. Entendant son nom, Dinant s’approcha, un sourire
glacial aux lèvres, tandis que Furnais essayait de garder son sang-froid.
C’était donc lui l’ennemi qu’ils devaient
craindre !
— Randolf est le frère du sénéchal d’Anjou,
que vous connaissez certainement, sire Dinant, expliqua le comte d’Oxford.
— En effet, répondit Dinant, dévisageant un
peu trop longuement Furnais.
— Que nous vaut donc l’honneur de ta visite,
Randolf ? demanda le comte d’Oxford.
— Je rejoins mon frère en France pour le
mariage, expliqua Furnais. Je suis venu demander l’hospitalité pour une nuit ou
deux, le temps de trouver une barque qui me conduira en Normandie. Guillaume de
La Braye m’a offert de partager sa chambre.
— Inutile de chercher une nef, Randolf !
lui dit le grand chambellan.
Il se tourna vers l’homme aux joues d’ivrogne,
tandis que Dinant s’éloignait.
— Roger ! l’interpella-t-il à nouveau.
Furnais avait deviné qu’il s’agissait de Roger
Fitz Renfred, le constable gouverneur de la Tour.
— Randolf est le frère de Stephen et de
Robert de Turnham, Roger.
— Je l’avais reconnu, répliqua l’autre,
maussade, car son hanap de vin était vide et il avait besoin de s’en faire
servir un autre.
— Dieu vous bénisse, seigneur constable, dit
Furnais en s’inclinant.
— Randolf se rend au mariage de Blanche de
Castille et a besoin d’embarquer pour la Normandie. Avec toutes les barques qui
partent demain, il y aura certainement de la place pour lui…
— Combien… d’hommes avez-vous avec
vous ? demanda Roger Fitz Renfred d’une voix vacillante.
— Seulement mon écuyer. La peste a éclaté la
veille de mon départ et ceux qui devaient m’accompagner ont été atteints.
— Vous avez bien fait de les laisser
là-bas ! s’exclama le gouverneur. Mais trêve de plaisanterie, si vous
n’êtes que deux, vous pourrez embarquer demain dans une des nefs.
— Arriverons-nous à temps ? s’inquiéta
Furnais.
— Largement ! Le mariage n’aura lieu que
le 23. Je vous verrai plus longuement au souper.
Il s’éloigna pour faire emplir son hanap de vin
tout en évitant de trop chanceler. Entre-temps, le comte d’Oxford était
retourné près du grand justicier et Furnais se retrouva seul.
L’occasion était favorable. Il se tourna vers
Ranulphe mais son écuyer n’était plus là !
Furnais hésita un instant à le chercher dans la salle.
Il était parvenu à tromper tous ceux qui l’avaient abordé, mais il
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